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Quinze ans. Quinze années se sont écoulées depuis ce jour où la terre d’Haïti a tremblé, ébranlant nos vies et marquant à jamais nos âmes. En vingt secondes, à 16h53, le 12 janvier 2010, le monde a basculé, et rien n’a plus jamais été pareil. Ce séisme, d’une violence inouïe, a réduit à néant des quartiers entiers de Port-au-Prince, englouti des vies par dizaines de milliers et laissé derrière lui un champ de ruines, autant matérielles qu’intérieures.

Mais ce n’est pas seulement d’Haïti que je veux vous parler aujourd’hui, c’est de ma propre histoire, celle d’un témoin parmi tant d’autres, qui, quinze ans après, continue à porter les marques de cette tragédie dans son cœur et dans ses mots.

Le Palais national, le 13 janvier 2010. (wikimedia)

Les vingt secondes qui ont tout changé

J’étais là. Je me souviens de tout, comme si c’était hier. Ce jour-là, le soleil brillait haut dans le ciel, et rien ne laissait présager l’enfer qui allait se déchaîner. Port-au-Prince était en pleine effervescence, rythmée par le va-et-vient des tap-taps (transport collectif, coloré et décoré, où les passagers tapent pour demander l’arrêt.), les rires des enfants jouant dans les ruelles, et les étals colorés des marchands.

Et puis, en une fraction de seconde, tout s’est figé. D’abord, un grondement sourd, profond, qui semblait venir du ventre de la terre elle-même. Ensuite, une secousse brutale, déchirante, comme si le sol sous nos pieds voulait se dérober. Les murs se sont écroulés autour de nous, les cris ont envahi l’air, et le ciel bleu s’est obscurci sous un nuage de poussière. Je me souviens avoir été frappé par l’incompréhension, par cette incapacité à croire que ce que je voyais était réel.

Quand la secousse s’est arrêtée, un silence assourdissant a pris le relais, suivi des premiers appels au secours. J’ai marché, ou plutôt erré, dans les rues dévastées, cherchant des visages familiers, une lueur d’espoir parmi les décombres. Je n’ai jamais retrouvé certains amis ce jour-là. Parmi eux, le brillant Schélomi, ancien compagnon d’école dont l’éclat intellectuel et la chaleur humaine ont marqué ma vie. Perdre un ami comme lui, c’est perdre une part de soi.

Ce que j’ai vu ce jour-là, je ne pourrai jamais l’oublier : des vies brisées, des rêves ensevelis, et pourtant, au milieu de ce chaos, des gestes d’une humanité bouleversante.

Deuxième nuit sans toit pour les habitants, du 13 au 14 janvier, dans un camp installé par l’armée brésilienne. (wikimedia)

Une cicatrice ouverte sur une nation blessée

Le 12 janvier 2010 a marqué le début d’un long combat pour nous, Haïtiens. Si les secousses ont cessé, les répliques émotionnelles, politiques et sociales continuent encore aujourd’hui. Ce séisme n’était pas qu’une catastrophe naturelle ; il a révélé, dans toute sa crudité, les failles d’un système affaibli par des décennies de corruption, de banditisme, d’inégalités et de dépendance.

Et comme si le désespoir d’une nation ne suffisait pas, une enquête journalistique (signée Justin Elliott, ProPublica, et Laura Sullivan, NPR) a révélé une vérité révoltante : après le tremblement de terre, la Croix-Rouge américaine avait collecté un demi-milliard de dollars pour aider Haïti. Un chiffre astronomique, porteur d’espoir pour des milliers de familles à la rue, pour une reconstruction rapide et durable. Mais le résultat ? Seulement six maisons ont été construites. Six petites maisons pour 488 millions de dollars (environ 439 millions d’euros).

Comment expliquer une telle aberration ? Où est passé tout cet argent ? Les Haïtiens n’ont rien vu, rien touché, si ce n’est l’indifférence et l’opacité. Cette révélation est un rappel brutal de ce que signifie être oublié, trahi, même après une tragédie. Nos espoirs ont été piétinés, mais notre dignité, elle, ne peut être volée.

Habitants de Jacmel parmi les ruines de la ville, photo prise le 17 janvier. (wikimedia)

Reconstruire, pierre par pierre

Après la catastrophe, la communauté internationale a promis monts et merveilles. Les dons affluaient, les projets de reconstruction fleurissaient. Mais quinze ans plus tard, les promesses se sont fanées, et le pays reste, pour beaucoup, un symbole d’échec.

Pourtant, au milieu de cet abandon, je vois aussi des signes de vie, de résistance. Je pense à cette jeune femme, rencontrée récemment à Montréal, qui a ouvert une école dans un quartier marginalisé. Avec peu de moyens, elle offre aux enfants ce qu’elle-même n’a pas eu : une chance de rêver.

Je pense aussi à ces artistes, ces écrivains, ces peintres, qui transforment la douleur de notre histoire en œuvres d’une beauté saisissante. Leurs créations ne sont pas seulement des témoignages, elles sont des actes de résistance, des déclarations d’amour à cette terre qui continue, envers et contre tout, à nous nourrir.

Carte des intensités du séisme, estimées, selon l’échelle de Mercalli. (wikimedia)

Le séisme de 2010 a laissé une cicatrice ouverte sur ma vie et sur celle de mes compatriotes. Mais cette cicatrice, loin de nous détruire, peut devenir le point de départ d’un renouveau. Car Haïti, ce n’est pas seulement le passé ; c’est aussi un avenir à construire.

Nous ne pouvons pas compter sur les autres pour rebâtir notre pays. Cette leçon, je l’ai apprise à la dure. L’aide internationale, aussi bien intentionnée soit-elle, ne peut remplacer la volonté d’un peuple de prendre son destin en main. Et cette volonté, je la vois autour de moi. Je la vois dans ces initiatives locales, dans ces communautés qui s’organisent, dans ces voix qui s’élèvent pour réclamer justice et dignité.

Nous devons nous rappeler que “l’union fait la force” n’est pas seulement une devise, mais une nécessité. Si nous voulons qu’Haïti se relève, il faut que chacun de nous joue son rôle, aussi petit soit-il. Il ne s’agit pas seulement de reconstruire des maisons, mais aussi de reconstruire des liens, des valeurs, et une vision commune.

Bill Clinton à Port-au-Prince, le 18 janvier. (wikimedia)

Un cri d’espoir

En ce 15e anniversaire, je me tiens entre mémoire et espoir. La mémoire de ceux que nous avons perdus, de ce que nous avons subi, mais aussi l’espoir d’un futur meilleur.

Le 12 janvier 2010, la terre a tremblé, mais notre esprit, lui, n’a pas cédé. Aujourd’hui, je veux croire que, malgré les épreuves, nous pouvons bâtir une Haïti où nos enfants ne grandiront pas dans la peur, mais dans la confiance. Une Haïti où nos talents, notre culture, et notre résilience seront reconnus pour ce qu’ils sont : des trésors inestimables.

Ce n’est pas facile, je le sais. Mais chaque petit pas compte. Chaque acte d’amour, chaque geste de solidarité, chaque rêve porté à bout de bras est une pierre posée sur le chemin de la renaissance. Alors, à vous qui lisez ces mots, je vous invite à croire en Haïti, à croire en nous.

Quinze ans après, nous sommes toujours debout.

Et tant que nous le serons, il y a de l’espoir. Haïti vivra !

Auteur

Thélyson Orélien

Passionné par l'écriture, j'explore à travers ce blog divers sujets allant des chroniques et réflexions aux fictions et essais. Mon objectif est de partager des perspectives nouvelles, d'analyser des enjeux contemporains et de stimuler la pensée critique.
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