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Le 12 janvier 2010, à 16h53, la terre trembla en Haïti, et avec elle, l’histoire d’une nation tout entière se fissura, révélant au monde la douleur profonde et intemporelle d’un peuple trop souvent oublié. Cinq jours plus tard, un éditorial inoubliable et historique fut diffusé sur les ondes de Radio France Internationale (RFI), signé par Alain Génestar, ancien directeur de la rédaction de Paris Match. Intitulé « Nous ne sommes pas tous des Haïtiens », ce texte résonna comme un coup de poing dans la conscience collective, déchirant le voile de l’indifférence qui recouvre trop souvent les tragédies du Sud global.

À l’approche du cinquième anniversaire de ce tremblement de terre, alors que les souvenirs commencent peut-être à s’estomper pour certains, il est crucial de revenir sur ces mots, de les réécouter avec une attention renouvelée, car ils portent en eux une vérité amère mais nécessaire. La puissance de cet éditorial réside dans sa capacité à transcender l’émotion éphémère pour atteindre une réflexion profonde sur les responsabilités historiques et morales que nous portons, en tant que citoyens du monde, envers ce petit pays des Caraïbes.

L’Éditorial

Nous ne sommes pas tous des Haïtiens

« Que dire qui n’a pas été dit mille fois ? Mais pourquoi faudrait-il s’interdire de redire ce qui a déjà été dit ?

À chaque fois qu’une catastrophe de l’ampleur de celle d’Haïti se produit, les analystes rivalisent dans leurs commentaires pour trouver des mots plus forts, pour exprimer des émotions plus sensibles les unes que les autres, pour rechercher des explications originales ou bien lancer des condamnations qui interpellent avec plus ou moins de talent la bonne conscience universelle.

Mais parler d’une catastrophe aussi dramatique et bouleversante que celle qui frappe le peuple Haïtien, parler des morts, des blessés, des disparus, de toute cette misère n’est pas une affaire de style, ni un concours pour décrocher la palme d’or du commentaire le plus émouvant.

D’autant que ces déluges verbaux ne débouchent sur rien, ne riment à rien sinon à satisfaire leurs auteurs. Écrire « Nous sommes tous des Haïtiens » après avoir écrit, il y a cinq ans au lendemain du tsunami, nous sommes tous des Thaïlandais ou des Sri Lankais est un mensonge. Non, nous ne sommes pas tous des Haïtiens, même si nous sommes sincèrement émus humainement c’est-à-dire en tant que frères de la même humanité. Mais nous ne sommes pas tous des Haïtiens, car dans quelques semaines, au mieux dans deux, trois mois, nous serons passés à autre chose, à une autre émotion, une nouvelle chassant l’autre.

Il y aura même des prétendus experts en cause humanitaire qui nous expliqueront à coup sûr que finalement on en a beaucoup trop fait pour Haïti, qu’il y a trop d’argent et que de toute façon la corruption est telle que les fonds, nos dons, nos aides sont détournés. Car, c’est ainsi qu’on les traite, les damnés du monde. On les traite de corrupteurs, de corrompus comme si nous les riches, nous étions des petits saints. Comme si nous les riches, nous n’avions pas exploité, sucé jusqu’à la moelle leurs ressources, ni asservi tout au long de l’histoire leurs pères et leurs enfants. Comme si nous les riches, nous étions prêts à partager nos biens et nos fortunes. Prêts à les aider, non pas au lendemain d’une catastrophe aussi spectaculaire, mais avant, après, en permanence !

Alors, ce dont il faut parler aujourd’hui, sans effet de style, compte tenu de tout ce que nous savons, de tout ce que nous avons fait, de tout le mal dont nous avions été autrefois les auteurs puis plus tard les complices, ce n’est pas d’aides charitables, mais d’indemnités, de dédommagements.

Nous ne sommes pas tous des Haïtiens. Nous sommes des Français, des Espagnols, des Américains qui doivent rembourser leurs dettes au peuple d’Haïti !!! »

– Alain Génestar

Ces mots, écrits par Génestar, résonnent encore aujourd’hui avec une intensité presque insoutenable. Ils dénoncent l’hypocrisie qui se cache souvent derrière les déclarations d’empathie mondiales, cette tendance à proclamer une solidarité éphémère tout en fermant les yeux sur les injustices structurelles qui perdurent depuis des siècles. Il ne s’agit pas simplement de réagir face à la catastrophe, mais de reconnaître les responsabilités historiques et de rendre justice à un peuple trop longtemps marginalisé.

Cinq ans après ce tremblement de terre sans nom, l’appel d’Alain Génestar reste d’une actualité brûlante. Ce n’est pas seulement un éditorial, c’est un rappel à l’ordre, une invitation à dépasser les discours de circonstance pour s’engager véritablement dans un processus de réparation et de justice.

À l’heure où Alain Génestar dirige Polka Magazine, un magazine trimestriel de photojournalisme qui propose un autre regard sur le monde à un rythme plus lent, il est essentiel de se rappeler que la véritable solidarité ne peut être ponctuelle. Elle doit être continue, ancrée dans une compréhension profonde des injustices passées et présentes. À l’approche de cet anniversaire tragique, je vous invite donc à réécouter cet éditorial, à en saisir la portée, et à réfléchir sur ce que signifie vraiment être solidaire avec Haïti, non seulement dans les moments de crise, mais aussi dans la longue reconstruction de son avenir.

Auteur

Thélyson Orélien

Passionné par l'écriture, j'explore à travers ce blog divers sujets allant des chroniques et réflexions aux fictions et essais. Mon objectif est de partager des perspectives nouvelles, d'analyser des enjeux contemporains et de stimuler la pensée critique.
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