Quand il s’agit de la situation actuelle d’Haïti, les accusations contre les puissances étrangères sont fréquentes : « Oui, c’est la faute des blancs » ou « Le blanc veut nos richesses ». Ces discours, bien que courants, trahissent une incapacité à assumer notre propre part de responsabilité. Haïti, riche de son histoire et de ses ressources, est souvent perçue comme une cible par les forces extérieures. Mais cette perception, bien qu’enracinée dans notre passé colonial et postcolonial, ne saurait à elle seule expliquer les crises multiples que traverse notre pays aujourd’hui. La vérité est que nos maux sont, pour une large part, le produit de nos propres faiblesses internes.
Il est tentant de croire que Haïti détient des richesses convoitées par le reste du monde, mais cette idée est un mythe. La véritable richesse d’un pays réside non seulement dans ses ressources naturelles, mais surtout dans sa capacité à les exploiter efficacement, à maintenir un système politique stable, et à assurer la cohésion sociale. Lorsque nous accusons l’étranger de convoiter nos richesses, nous oublions que ces dernières sont souvent inaccessibles en raison de notre propre incapacité à les valoriser. Il est crucial de se rappeler que la prospérité n’est pas seulement une question de ressources, mais de gouvernance.
L’occupation américaine
L’occupation américaine d’Haïti, qui a duré de 1915 à 1934, est souvent évoquée comme un exemple de l’ingérence étrangère dans les affaires haïtiennes. Cependant, il est essentiel de comprendre le contexte qui a conduit à cette intervention. Le 28 juillet 1915, le président haïtien Vilbrun Guillaume Sam fut capturé et lynché par une foule en colère après avoir ordonné l’exécution de 167 prisonniers politiques. Cet événement s’est produit dans l’enceinte de la légation française à Port-au-Prince, ce qui a précipité l’intervention militaire des États-Unis sous prétexte de protéger les intérêts américains et d’assurer la stabilité dans la région.
Cette occupation américaine a été marquée par la construction d’infrastructures, mais aussi par l’imposition de politiques qui servaient les intérêts économiques et stratégiques des États-Unis plutôt que ceux d’Haïti. La leçon à tirer de cette période est claire : lorsque l’État haïtien échoue à maintenir l’ordre et à protéger ses citoyens, d’autres nations s’arrogent le droit d’intervenir, souvent avec des conséquences à long terme pour la souveraineté nationale.
Le miroir brisé de la responsabilité
Aujourd’hui, Haïti est confrontée à une nouvelle forme d’ingérence, plus subtile mais tout aussi pernicieuse. L’arrivée de la force kényane, approuvée par la communauté internationale, est présentée comme une solution à la crise sécuritaire. Mais cette intervention est-elle réellement une solution ou le symptôme de notre échec collectif à gérer notre propre sécurité ? Il est avéré que ce sont nos politiciens et hommes d’affaires qui, par leurs machinations et leur soif de pouvoir, ont créé et armé les gangs qui sèment la terreur aujourd’hui. Ce cercle vicieux, où la violence est à la fois un outil et un résultat du maintien au pouvoir, doit nous pousser à interroger la véritable source de nos maux.
Prenons l’exemple de Jean, un jeune homme de 22 ans, habitant de Village de Dieu, l’un des quartiers les plus pauvres et les plus dangereux de Port-au-Prince. Jean a grandi dans un environnement où la violence et l’insécurité font partie du quotidien. Abandonné par un système éducatif défaillant et une économie en lambeaux, il n’a jamais eu l’opportunité de poursuivre des études, ni même d’obtenir un emploi stable. Les gangs, omniprésents dans son quartier, ont été pour lui une issue presque inévitable.
À l’âge de 16 ans, Jean a été approché par des membres d’un gang local. Ils lui ont promis de l’argent facile, de la protection, et une place dans un groupe qui, à défaut de mieux, lui offrirait une forme de reconnaissance et de pouvoir qu’il n’aurait jamais pu obtenir autrement. N’ayant aucune perspective d’avenir, il a fini par accepter, d’abord à contrecœur, puis avec la résignation de celui qui n’a d’autre choix que de survivre.
Aujourd’hui, Jean est l’un des nombreux jeunes pris dans le piège de la violence. Il sait que sa vie est constamment en danger, que chaque jour pourrait être le dernier. Mais pour lui, comme pour tant d’autres, il n’y a pas d’autre voie. Ce n’est pas par choix qu’il est devenu ce qu’il est, mais par manque d’alternatives. La responsabilité de son sort ne peut être imputée aux étrangers ; elle incombe à ceux qui, par leur inaction ou leur complicité, ont permis à ce système corrompu de prospérer.
La réconciliation avec nous-mêmes
L’histoire récente d’Haïti est jalonnée de crises, chacune plus grave que la précédente, et chacune nécessitant une intervention extérieure. Mais ces interventions ont-elles résolu les problèmes, ou ont-elles simplement temporairement apaisé les symptômes de notre propre incapacité à gouverner ? Laisser la charge à l’étranger, c’est reconnaître notre impuissance et admettre que ceux qui étaient censés nous défendre ont échoué. La véritable question à se poser est : à quel moment nos leaders ont-ils abdiqué leur responsabilité ?
L’avenir d’Haïti ne se construira pas sur des accusations ou des mythes, mais sur une prise de conscience collective de nos propres faiblesses et sur un engagement à les surmonter. Pour cela, il est essentiel de reconnaître les liens de causalité entre nos actions et leurs conséquences. La présence de la force kényane n’est pas le fruit d’une conspiration étrangère, mais le résultat de notre échec à protéger notre propre pays.
Il est temps pour Haïti de rompre avec les illusions et d’affronter la réalité. Le monde extérieur a sans doute sa part de responsabilité dans nos difficultés, mais la plus grande part nous incombe. Seule une introspection honnête et une action résolue pourront nous permettre de sortir de ce cycle destructeur. Pour que des jeunes comme Jean aient un avenir meilleur, pour que notre pays retrouve sa dignité, nous devons enfin assumer la pleine responsabilité de notre destin.
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