Les cousins africains l’avaient surnommé « Coupé Cloué », un nom qui résonne encore comme une légende dans les annales de la musique haïtienne et caribéenne. Jean Gesner Henry, plus connu sous ce pseudonyme évocateur, fut l’un des musiciens les plus emblématiques du Compas direct haïtien, un genre musical qui marie les racines profondes du folklore haïtien aux influences venues d’ailleurs.
Son groupe, « L’Ensemble Sélect », s’est imposé comme l’un des plus illustres de toute la Caraïbe, capturant l’essence même de cette fusion musicale. Le Compas, tel qu’il fut popularisé par le saxophoniste et guitariste Jean-Baptiste Nemours en 1955, prenait sous les doigts de Coupé Cloué une tournure résolument unique. Sur scène, il offrait un spectacle où se mêlaient rythmes folkloriques, troubadour, jazz et méringues haïtiens, donnant naissance à ce qu’il appela lui-même le « Compas Mamba », un terme aussi savoureux qu’évocateur de l’énergie contagieuse de sa musique.
Qui était Coupé Cloué ?
Né le 10 mai 1925 à Léogâne, en Haïti, Jean Gesner Henry, de son vrai nom, ne semblait pas destiné à devenir l’icône culturelle qu’il est devenu. Pourtant, dès son plus jeune âge, il montra un talent naturel pour la musique. Chanteur, guitariste et chef d’orchestre, il s’était fait connaître non seulement pour sa maîtrise musicale, mais aussi pour ses chansons à double sens, qui étaient souvent grivoises et gorgées d’un humour décapant.
Ces textes, d’une apparente simplicité, cachaient une profondeur et une subtilité qui rappellent les œuvres des grands maîtres de la chanson française tels que Josephine Baker avec « La canne à sucre », Lynda Lemay avec « J’veux pas d’chien dans ma maison », Alain Bashung avec « Madame rêve », ou encore Serge Gainsbourg avec « Les sucettes ». Ceux qui connaissent ces morceaux comprendront aisément de quoi je parle : une chanson qui semble innocente mais qui cache en réalité des significations bien plus profondes, souvent liées à la sensualité et à la critique sociale.
Au cours de sa carrière, Coupé Cloué a conquis bien des cœurs à travers le monde, notamment en Afrique de l’Ouest, où sa musique a trouvé un écho particulier. Issu d’une éducation musicale classique, il travailla d’abord comme ébéniste avant de se tourner vers le football professionnel, jouant en tant que défenseur pour le club Aigles Noirs de Port-au-Prince. C’est là qu’il acquit son surnom de « Coupé Cloué », une allusion à sa capacité à faucher les attaquants adverses avec une précision et une vigueur redoutables.
Une carrière entre musique et panafricanisme
Influencé par la musique cubaine, il commença à jouer de la guitare en 1951 et forma en 1957 le « Trio Cristal », qui devint plus tard le « Trio Select » lorsqu’il s’associa à un autre guitariste et à un joueur de maracas. Son premier album, paru en 1960, fut le début d’une carrière prolifique qui le verrait enregistrer des dizaines d’albums, chacun enrichissant davantage son répertoire et son influence.
Au début des années 70, le groupe évolua pour inclure davantage de musiciens, devenant ainsi « L’Ensemble Sélect ». C’est au cours de cette période que Coupé Cloué commença à intégrer des contes et des récits dans ses chansons, faisant de cette approche narrative une véritable signature. Cette capacité à raconter des histoires, à captiver le public par des récits aussi savoureux que subversifs, fit de lui une figure à part dans le paysage musical haïtien.
Mais Coupé Cloué n’était pas qu’un simple musicien ; il était aussi un fervent promoteur du panafricanisme, utilisant sa musique pour renforcer les liens entre Haïti et le continent africain. En 1975, il découvrit la République du Congo et l’Afrique de l’Ouest, où il fut profondément touché par les similitudes entre les rythmes de sa musique et ceux des autochtones africains, notamment le soukous. Ce voyage marqua le début d’une relation étroite entre Coupé Cloué et le continent africain, où ses fans, en reconnaissance de son immense talent et de son rôle de pont culturel, lui attribuèrent le titre de Roi Coupé Cloué.
Un héritage impérissable
Au cours des années 1980 et au début des années 1990, il continua à jouer et à enregistrer de manière prolifique, malgré une santé déclinante. Diagnostiqué du diabète, il donna son dernier spectacle en décembre 1997, avant de s’éteindre un mois plus tard, le 29 janvier 1998, dans son royaume natal, Haïti. Son départ laissa un vide immense, mais aussi un héritage musical riche et durable, transmis à de nombreux héritiers musicaux.
En reconnaissance de sa contribution inestimable à la culture haïtienne et panafricaine, le ministre intérimaire de la Culture de l’époque décréta un deuil national en sa mémoire, le consacrant ainsi comme un véritable trésor du panafricanisme.
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