Lorsque je me promène dans les rues de Montréal, de Toronto ou de New-York, sous les feux crépitants des néons et les grondements lointains des voitures, une pensée me traverse souvent l’esprit. Le chaos est partout. Il se manifeste dans les rues encombrées, dans les vies trépidantes des passants, dans les événements imprévisibles qui échappent à tout contrôle. Mais, au fond, ce chaos n’est-il pas aussi ce qui rend la vie si riche et imprévisible ? La question du sens dans un monde dénué d’ordre me ramène toujours à une histoire, celle d’un homme nommé Samuel, un ami rencontré dans des circonstances des plus inattendues, qui m’a inspiré à redéfinir ce que signifie vraiment « vivre dans le chaos. »
Samuel n’était pas un héros dans le sens traditionnel du terme. Pas de cape, pas de grands exploits. Simplement un homme parmi tant d’autres, enseignant de mathématiques dans une petite école de banlieue. Mais il avait traversé un type de tempête que peu d’entre nous osent imaginer. À 35 ans, une série d’événements tragiques avait bouleversé sa vie : la perte de sa femme dans un accident de voiture, la fermeture de son école, et un diagnostic de maladie incurable, tout cela en moins d’un an. Ses amis s’étaient éloignés, ses collègues s’étaient détournés, et Samuel se retrouvait seul, face à un avenir rempli d’incertitudes. Il était l’incarnation vivante du chaos.
Albert Camus, dans Le Mythe de Sisyphe, aurait probablement vu en Samuel un Sisyphe moderne. Condamné à affronter une réalité absurde, face à des événements sur lesquels il n’avait aucun contrôle. Mais là où d’autres auraient succombé au désespoir, Samuel a choisi un chemin différent. Un chemin que Camus lui-même aurait peut-être approuvé : celui de l’acceptation de l’absurde et d’une rébellion joyeuse contre cet état de fait.
Une anecdote illustre parfaitement cette attitude. Un jour, alors que nous marchions ensemble, Samuel m’a raconté la première fois où il est retourné travailler après ces tragédies. « Ce matin-là, je me suis levé comme tous les autres jours, mais avec une différence », me dit-il. « Je savais que rien de ce que je ferais ne changerait ce qui s’était passé. Mais je pouvais changer la manière dont j’allais réagir. Alors, j’ai choisi de sourire et de prendre chaque petit moment de la journée comme un cadeau. »
Cette philosophie simple mais d’une profondeur infinie a tout transformé. En reconnaissant l’absurdité de sa situation, Samuel a découvert une nouvelle forme de liberté. Il ne cherchait plus des réponses aux grandes questions de la vie, mais se concentrait sur les petits moments de beauté dans le chaos. Un enfant qui riait en classe, une tasse de café savourée au soleil, le bruissement des feuilles sous ses pieds. Ces petites choses, en apparence insignifiantes, devenaient son ancrage, sa manière à lui de résister à la tempête.
Dans cette acceptation de l’absurde, il ne s’agit pas d’une résignation passive, mais bien d’un acte de rébellion contre la vacuité du monde. Camus écrivait : « Il faut imaginer Sisyphe heureux. » Ce bonheur ne réside pas dans la résolution d’une énigme existentielle, mais dans l’action même de pousser la pierre jour après jour, en trouvant du sens dans l’effort plutôt que dans l’aboutissement. Samuel, en continuant d’enseigner, de rire et d’aimer malgré la douleur et la perte, incarnait cette idée avec une force tranquille et inspirante.
Cette révolte joyeuse face au chaos trouve aussi un écho dans la philosophie stoïcienne. Epictète, Marc Aurèle, et d’autres grands penseurs de l’Antiquité enseignaient que nous ne contrôlons pas les événements extérieurs, mais uniquement notre réaction à ceux-ci. Samuel, à sa manière, était un stoïcien moderne. Il avait cessé de lutter contre le courant et, au lieu de cela, s’était laissé porter par lui, se concentrant uniquement sur ce qu’il pouvait réellement contrôler. « Je ne contrôle ni la mort, ni la maladie, ni même l’avenir, mais je contrôle ce que je fais aujourd’hui », disait-il souvent. Ainsi, il a continué à enseigner, à partager son savoir, à sourire à ses élèves et à savourer l’instant présent.
Un jour, alors que nous buvions un café, il m’a confié : « La vie n’a pas besoin d’être parfaite pour être belle. » Cette phrase, d’une simplicité désarmante, résume à merveille l’essence même de ce que signifie vivre dans le chaos. Samuel avait appris que le désordre n’était pas un ennemi à craindre, mais une réalité à accepter. Ce qui compte, ce ne sont pas tant les événements eux-mêmes, mais la manière dont nous les vivons.
Accepter le chaos ne signifie pas renoncer à nos aspirations ou à nos rêves. Au contraire, cela ouvre la voie à une forme de création personnelle. Jean-Paul Sartre, un autre grand philosophe existentialiste, affirmait que « l’existence précède l’essence », c’est-à-dire que nous ne naissons pas avec un but prédéterminé. C’est à nous de définir notre existence à travers nos actions. Samuel, par son choix conscient de vivre pleinement chaque jour, même au cœur de l’incertitude, avait pris le contrôle de sa vie, tel un artiste façonnant une toile vierge. Il choisissait ses réactions, il créait son bonheur, tout comme un peintre choisit ses couleurs.
Mais au-delà de cette quête de sens personnelle, il existe une dimension collective à cette recherche. Nous sommes tous liés par notre humanité commune, notre capacité à ressentir, à souffrir, et à aimer. Des histoires de résilience, comme celle de Samuel, nous rappellent que nous ne sommes jamais seuls dans notre lutte contre le chaos. Que ce soit face à une maladie, à une perte, ou simplement aux aléas de la vie quotidienne, nous pouvons trouver du réconfort dans nos liens humains. Samuel en est la preuve vivante, lui qui a partagé ses joies et ses peines avec ses amis, ses collègues et ses élèves.
Le chaos est peut-être inévitable, mais cela ne signifie pas que la vie n’en vaut pas la peine. Comme le disait Samuel, la beauté de la vie réside précisément dans son imprévisibilité. Chaque jour est une surprise, une nouvelle page blanche à remplir. En fin de compte, c’est cette capacité à trouver du sens dans les petites choses, dans les moments de calme au milieu de la tempête, qui fait de nous des êtres véritablement vivants.
Dans cet acte de rébellion face à l’absurde, nous devenons tous des Sisyphe modernes. Poussant nos pierres jour après jour, mais avec le sourire, une intention claire, et une gratitude profonde pour le simple fait d’exister. Comme Samuel, nous pouvons choisir de voir la vie non pas comme un fardeau, mais comme une opportunité de création infinie, une toile vierge que nous remplissons de nos expériences, de nos joies, de nos peines, et de nos moments de contemplation.
Au fond, l’art de vivre dans le chaos n’est pas une science exacte. C’est un choix. Le choix de Samuel. Le choix de Sisyphe. Le choix de chacun d’entre nous. Dans ce monde imprévisible et souvent absurde, c’est ce choix qui définit notre liberté, notre humanité et, en fin de compte, notre bonheur.
Alors, chers lecteurs, chères lectrices, que vous soyez à Montréal, à Toronto, à New York, à Port-au-Prince, à Paris ou dans n’importe quel endroit au monde, rappelez-vous ceci : la vie est chaotique, mais c’est précisément dans ce chaos que nous trouvons notre plus grand pouvoir. Le pouvoir de choisir, de créer et de vivre pleinement.
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