Que faire quand le cirque quotidien du secteur public haïtien se transforme en un carnaval permanent de rires et de moqueries ? Les 10, 11 et 12 février 2013, au Cap-Haïtien, bien que nous n’y étions pas, nous avons saisi l’essence de cette comédie nationale.
Mikhail Bakhtine, le grand philosophe russe de la théorie littéraire, dans une de ses études sur la culture populaire, a examiné le carnaval sous un angle unique : sans frontières entre acteurs et spectateurs, tous plongés dans une même farce vivante.
Parmi mille définitions possibles, le carnaval peut être ce subtil terrain de jeu, parfois sarcastique, où l’on exprime son ras-le-bol avec joie, anticipant les réjouissances populaires contre une culture officielle, hégémonique et répressive, à l’image grotesque d’un régime autoritaire.
Historiquement, le carnaval remonte aux fêtes païennes de l’Antiquité. Ces fêtes célébraient les dissolutions temporaires des différences entre riches et pauvres, effaçant les frontières entre le beau et le grotesque, le sacré et le profane à travers des masques de toutes natures.
Les participants adoptaient d’autres identités, offrant une échappatoire à la monotonie quotidienne. Le carnaval était donc le royaume des inversions. Mais que faire quand ces inversions deviennent la norme quotidienne ?
Quand tout est dit et fait pour le rire, quand la moquerie, le ridicule, et le risible sont les acteurs principaux de la vie nationale et des affaires de l’État, on pourrait penser que le carnaval en Haïti est un spectacle sans fin, se déroulant “Non-Stop” toute l’année.
Inutile de dresser la longue liste des absurdités spécifiques, il suffit de suivre l’actualité haïtienne pour en avoir une idée aussi lucide qu’objective.
Le carnaval devrait être une fête véritablement démocratique dans ce pays, offrant pour la première fois une liberté d’expression totale, sans censure, pour ceux qui aiment dire la vérité telle qu’elle est, ceux qui en profitent, ou même ceux qui préfèrent garder le silence.
Les folies sont aussi essentielles pour ceux qui dansent au rythme des musiques préfabriquées des trois jours gras, que pour ceux qui ont besoin d’une pause dans ce carnaval perpétuel.
Certaines personnes croient que la politique est un antagonisme entre l’amitié et l’inimitié, que la dissidence et l’opposition sont des fins en elles-mêmes, plutôt que des moyens d’exprimer des opinions divergentes pour le bien commun.
Le but ultime de la dissidence n’est pas de prouver qu’une faction possède la vérité, mais de réaliser le bien commun. En Haïti, cette vision de la politique est souvent déformée. Seuls ceux qui aiment véritablement le pays peuvent surmonter leurs différences et s’unir pour le bien de tous.
Pour atteindre cet objectif, le pays a besoin d’unité autour de la foi civique dans la liberté commune et du pluralisme, d’accords et de désaccords constructifs. Le leader qui s’oppose au pluralisme et instaure la censure s’oppose à la démocratie elle-même.
Pour une année plus rose, espérons plus de respect mutuel et de liberté d’expression, pour le bien-être des danseurs, des chanteurs, des musiciens, et du pays tout entier ; afin de retrouver la joie rafraîchissante et la vivacité des sambas de nos bandes à pied.
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