Et si une seule voix pouvait changer le destin d’un pays? À Terrebonne, c’est ce qui vient de se produire. L’élection de Tatiana Auguste, à 24 ans, par une voix d’écart seulement, nous rappelle avec éclat que la démocratie n’est jamais un geste banal.
On a tous, un jour, pensé que notre vote ne changeait rien. Que les dés étaient jetés, les sièges déjà assignés, les jeux joués entre les puissants, bien avant que notre bulletin ne glisse dans l’urne en carton recyclé. C’est un réflexe canadien aussi commun que le sirop d’érable ou les débats sur le prix du logement : cette impression douce-amère que voter, c’est parfois comme crier dans une tempête. Et pourtant.
Samedi dernier, dans la paisible circonscription de Terrebonne, ce réflexe a pris un sacré coup. Ou plutôt une claque électorale d’une violence douce, presque poétique : Tatiana Auguste, 24 ans, libérale d’origine haïtienne, a remporté l’élection… par une seule voix. Oui, une. Pas deux. Pas cinquante. Une voix. Et pas n’importe quelle voix. Ce n’est pas juste une voix de plus, c’est une voix de démocratie, de destin, d’histoire même. Celle qui dit : « Tu vois, toi qui hésitais à te lever ce matin-là, qui te disais que ça ne servait à rien, c’est toi. C’est ta voix qui a changé le cours du pays. »
Il y a quelque chose de profondément humain – et follement ironique – dans cette victoire à une voix près. Comme si le destin s’était amusé à rappeler à toute une population, d’un clin d’œil bienveillant : chaque voix compte. Il aurait suffi que l’électeur qui devait voter Tatiana ait été coincé dans le trafic, ou que son chien ait fait une fugue de dernière minute, et c’en était fini.
On ne parle pas ici d’un concours de pâtisserie à la radio communautaire, mais bien de l’avenir d’une circonscription fédérale, de sièges parlementaires, de politiques publiques, de budgets et de lois. Le Parti libéral passe de 169 à 170 sièges. Un siège de plus, c’est une marche de plus vers la majorité parlementaire (majorité atteinte à 172 sièges). Et tout ça, parce qu’un citoyen quelque part s’est dit : « Allez, je vais voter. »
Et si c’était vous, cette voix-là?
Tatiana Auguste n’a pas seulement gagné une élection. Elle a renversé un mur de clichés et d’indifférence. D’abord, parce qu’à 24 ans, elle devient une des plus jeunes députées du pays. Ensuite, parce qu’elle est noire, femme, immigrée – et donc tout ce que certains aiment à croire « loin du pouvoir ».
Arrivée de Port-au-Prince à l’âge de 8 ans, elle incarne cette promesse silencieuse que la démocratie peut être habitée par toutes les couleurs de passeports, de prénoms et de mémoires. Et c’est beau à voir. Pour une fois, ce n’est pas un vieux politicien au regard aussi sec que son programme qui rafle la mise, mais une jeune femme dont l’énergie électrise un comté et fait vibrer un pays entier.

Son élection, c’est le triomphe d’une nouvelle génération. Une génération qui doute, qui tweete plus vite qu’elle ne vote, mais qui, quand elle s’engage, peut littéralement changer l’Histoire. Il n’y a pas de petite voix quand la grande histoire passe.
Imaginez maintenant celui ou celle qui a permis cette victoire. On ignore qui c’est. Mais cette personne devrait, à mon humble avis, recevoir un certificat encadré du ministère du Hasard, une médaille de la Démocratie en pantoufles, ou à tout le moins, un dessert gratuit dans le prochain BBQ communautaire.
Ce citoyen ordinaire, que personne n’a applaudi en sortant de l’isoloir, qui a probablement jeté sa petite brochure électorale dans le bac de recyclage en soupirant, a pourtant fait basculer un pays. Sans bruit. Sans tambour. Une voix parmi des milliers, mais la voix décisive. Voilà le paradoxe merveilleux de la démocratie : ce sont les invisibles qui font les révolutions.
Et à ceux qui se disent encore « à quoi bon? », qu’on leur montre Terrebonne. Qu’on leur dise : « Là-bas, une voix a tout changé. »
Les chiffres ne mentent pas, mais ils dansent
Cette élection, c’est aussi une valse numérique. Le 28 avril, Tatiana Auguste menait par 35 voix. Puis, après la validation postélectorale, la bloquiste Nathalie Sinclair-Desgagné (sortante depuis 2021) reprenait l’avantage de 44 voix. Et de la conservatrice Adrienne Charles, elle aussi originaire d’Haïti, en troisième position. On aurait pu croire que tout était joué.
Mais voilà : en politique comme en amour, il y a toujours un dernier mot. Le dépouillement judiciaire a remis Tatiana en tête… par une voix.
Et dire que ce type de dépouillement n’est requis que lorsque l’écart est inférieur à 0,1 % des votes valides exprimés. En gros : les cas où le suspense est si intense qu’il pourrait faire transpirer un comptable.
L’histoire de cette victoire minuscule mais titanesque a quelque chose d’irrésistiblement drôle, au fond. Une voix. On dirait une blague, une comédie absurde sur la lenteur administrative, ou un sketch de sitcom parlementaire :
« Monsieur le Président, nous demandons une majorité. »
« Et vous l’aurez peut-être… si Martin avait pas oublié de voter. »
C’est le Canada dans tout ce qu’il a de plus doux, plus modéré, plus poli – mais aussi plus surprenant. Une démocratie qui ne se fait pas dans les coups d’État ou les barricades, mais dans la patience des dépouillements et la magie d’un bulletin bien coché.

Les grandes histoires commencent souvent par une seule voix
Dans quelques années, on parlera peut-être encore de cette élection. Peut-être que Tatiana Auguste deviendra ministre… Peut-être qu’elle aura inspiré une vague de jeunes candidates venues de tous les horizons, qui auront compris que leur voix n’est pas seulement entendue, mais qu’elle peut tout faire basculer.
Et si tout cela arrive, on se souviendra d’où tout est parti : une voix. Une seule. Une victoire serrée comme un dimanche de pluie, mais porteuse d’une lumière rare.
Alors la prochaine fois que quelqu’un vous dira que voter ne sert à rien, souriez. Offrez-lui un petit clin d’œil, et dites simplement : « Terrebonne, 2025. »
Et laissez le reste en suspens. Parce que parfois, une simple voix peut faire trembler tout un pays.
Ce n’est pas une victoire comme les autres. Ce n’est pas qu’une addition de chiffres dans une colonne Excel d’Élections Canada. C’est une leçon. Une gifle douce à l’indifférence. Une gifle pour chaque « ça sert à rien » jeté au vent avec lassitude. Une gifle pour ceux qui ont baissé les bras, pour ceux qui ont troqué leur voix contre le confort du silence.
Parce qu’au fond, cette voix, c’est bien plus qu’un chiffre. C’est la voix de l’espoir. La voix de celles et ceux qu’on n’attendait pas. C’est la voix de Port-au-Prince qui résonne jusque dans les travées du Parlement canadien. C’est la voix d’une jeunesse qu’on croyait désengagée, mais qui murmure, puis crie, puis transforme.
Un pays ne bascule pas toujours dans le tumulte. Parfois, il change dans le calme. Il se retourne doucement, au détour d’un vote oublié, d’un geste solitaire. Il suffit d’une voix, d’un oui, d’un bulletin, pour bousculer l’histoire.
Et si cette voix-là, la prochaine fois, c’était la vôtre?