Dans L’Odeur du café, Dany Laferrière nous transporte dans un univers où la mémoire et l’enfance deviennent des terrains fertiles pour l’écriture. À travers les yeux d’un enfant de dix ans, l’auteur capte l’essence de moments ordinaires mais profondément marquants. Ces souvenirs ne sont pas figés, ils vivent, évoluent et résonnent dans l’esprit du lecteur, comme une mélodie nostalgique. Chaque détail – l’arôme du café, les gouttes de pluie sur la terre, le bruissement des cocotiers – témoigne de la richesse des sensations et des émotions qui imprègnent l’enfance.
“J’ai écrit ce livre pour toutes sortes de raisons.
Pour faire l’éloge de ce café (le café des Palmes) que Da aime tant et pour parler de Da que j’aime tant.
Pour ne jamais oublier cette libellule couverte de fourmis.
Ni l’odeur de la terre.
Ni les pluies de Jacmel.
Ni la mer derrière les cocotiers.
Ni le vent du soir.
Ni Vava, ce brûlant premier amour.
Ni Auguste, Frantz, Rico, mes amis d’enfance.
Ni Didi, ma cousine, ni Zina, ni Sylphise, la jeune morte, ni même ce bon vieux Marquis.
Mais j’ai écrit ce livre surtout pour cette seule scène qui m’a poursuivi si longtemps : un petit garçon assis aux pieds de sa grand-mère sur la galerie ensoleillée d’une petite ville de province.
Bonne nuit, Da !”
Laferrière démontre avec brio que l’enfance est une source inépuisable d’inspiration. Son approche n’est ni idéalisée ni cynique, mais profondément humaine. Il évoque avec délicatesse les bonheurs simples et les premières confrontations avec la complexité du monde. Ce regard d’enfant devient une lentille à travers laquelle il examine des thèmes plus vastes comme l’amour, la perte et la transmission. En ancrant son récit dans l’univers de Petit-Goâve, il réussit à raconter une histoire personnelle tout en touchant à l’universel.
Un café comme fil conducteur
L’arôme du café traverse le récit comme une métaphore du temps, du lien humain et de la transmission. Dans ce livre, le café n’est pas qu’une simple boisson : il devient un symbole de connexion. Partager une tasse de café, c’est créer un moment d’intimité, suspendre le temps et permettre aux récits de jaillir. Ce rituel est incarné par Da, la grand-mère de l’auteur, dont la sagesse et la bienveillance marquent chaque page. Sa galerie devient un théâtre de la vie où le café est l’acteur principal.
“Da m’a pris le sachet des mains, l’a ouvert et est restée longtemps à respirer le café. Elle m’a regardé et a souri avant d’en prendre une pincée pour la déposer sur sa langue.
Da a fermé les yeux.”
À travers ce symbole, Laferrière explore également la question du silence et de la parole. Le café n’est pas seulement prétexte à la conversation, il accompagne aussi les moments de silence. Ces silences, pleins de sens, permettent à la mémoire de s’épanouir. Ils reflètent une certaine philosophie de la vie, où l’essentiel se trouve dans l’écoute et l’attention portée aux autres. Ce geste simple de Da – offrir une tasse de café – devient une offrande sacrée, un moyen de créer du lien dans un monde souvent fragmenté.
“Un autre silence. Da aspire une bonne bouffée d’air, se cale encore plus profondément dans sa chaise et ferme, un bref instant, les yeux.
– Veux-tu une tasse de café, Augereau ?
– Avec plaisir, Da.
Augereau respire le café un bon coup avant de prendre sa première gorgée. Le reste, c’est l’affaire du temps.”
Ce café des Palmes, évoqué avec tant d’amour, symbolise aussi la permanence face à l’éphémère. Dans un monde en mutation, où les souvenirs risquent de s’effacer, il reste une ancre, une manière de rappeler que certaines choses – comme l’odeur du café – transcendent le temps.
Une galerie de personnages attachants
Les personnages de Petit-Goâve ne sont pas de simples figurants : ils constituent l’âme de ce récit. Chacun d’eux est décrit avec une profondeur qui les rend inoubliables. Marquis, le chien qui déteste les pneus, devient un symbole des blessures invisibles que la vie inflige. Camelo, star de l’Aigle noir, reflète l’aspiration à l’excellence et l’admiration collective. Même les personnages les plus modestes, comme le docteur Cayemitte, ajoutent une touche d’authenticité au tableau.
“D’après Zette, il paraît que Galbaud se laisse mener par sa voiture.
– Sa femme l’a toujours mené par le bout du nez aussi, Da.
– Une auto n’est pas une femme, Zette.
– Oui Da, mais un homme reste toujours un homme.
– C’est vrai, ça.”
Laferrière excelle dans l’art de rendre ces personnages universels tout en les ancrant dans leur contexte haïtien. Chacun porte une part de sagesse, d’humour ou de douleur qui enrichit le récit. Par exemple, les dialogues entre Da et Zette sont empreints d’une ironie savoureuse, révélant les dynamiques sociales et culturelles de l’époque. Cette diversité de voix et de personnalités reflète une mosaïque humaine où chaque pièce a sa place.
Une écriture poétique et sensorielle
L’écriture de Dany Laferrière est un chef-d’œuvre de concision et de sensibilité. Avec peu de mots, il parvient à évoquer des images puissantes et des émotions profondes. Sa prose, parfois proche de la poésie, invite le lecteur à ralentir, à savourer chaque phrase comme une gorgée de café chaud. Chaque chapitre est une vignette, un instantané qui capture l’essence d’un moment ou d’un sentiment. Cette approche fragmentaire, semblable à un album-photo, renforce le caractère intime du récit.
“Selon Da, on est vraiment mort quand il n’y a plus personne pour se rappeler notre nom sur cette terre.”
Ce style poétique n’est pas seulement esthétique ; il est profondément évocateur. Les odeurs, les sons et les textures se mêlent pour recréer un monde vivant. Par exemple, l’évocation des pluies de Jacmel ou de la mer derrière les cocotiers transporte immédiatement le lecteur dans l’univers de l’auteur. Cette richesse sensorielle donne au texte une qualité immersive, presque cinématographique.
Un récit universel sous une trame haïtienne
Bien que profondément enraciné dans la culture haïtienne, L’Odeur du café aborde des thèmes qui résonnent bien au-delà des frontières. L’enfance, la mémoire, la transmission : ces thèmes sont universels, et Laferrière les traite avec une sensibilité qui transcende les particularités culturelles. Cependant, il ne fait jamais abstraction du contexte haïtien, enrichissant ainsi le récit d’une profondeur historique et culturelle unique.
La Haïti des années 1960, telle que dépeinte dans le livre, est un personnage à part entière. Les paysages, les sons et les odeurs de Petit-Goâve deviennent des témoins silencieux des récits de l’auteur. Cette attention aux détails géographiques et culturels ancre le récit dans une réalité tangible, tout en laissant entrevoir les tensions sociales et politiques qui sous-tendent cette époque.
En cela, Laferrière réussit un équilibre remarquable. Il célèbre la richesse de sa culture tout en s’adressant à une audience mondiale. Ce double regard, à la fois local et universel, est une des forces majeures de son écriture. Il rappelle que, quelles que soient nos origines, nous partageons tous le besoin de préserver ce qui nous a façonnés.
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