Le drame des Haïtiens en République dominicaine est un miroir déformant qui nous renvoie une image cruelle de l’humanité. Cette histoire tragique, ancrée dans un contexte historique complexe, est marquée par des épisodes de racisme et de xénophobie qui ne cessent de se multiplier. Si l’on peut retracer des racines historiques à cette haine, il est impossible de fermer les yeux sur les récentes vagues de violences à l’encontre des Haïtiens, orchestrées sous la bienveillance des autorités dominicaines.
Le climat actuel en République dominicaine atteint un niveau de violence sans précédent. Les défilés haineux anti-haïtiens s’organisent dans les rues, rappelant des scènes d’un passé sombre que l’on croyait révolu. Les groupuscules racistes, semblables aux tristement célèbres Schutzstaffel (la SS) ou Ku Klux Klan, se multiplient. Il ne manque plus que l’uniforme pour compléter le tableau macabre de ces manifestations, où les slogans racistes et xénophobes fusent, nourrissant la peur et la violence envers les Haïtiens.
Ce climat de terreur est alimenté par une politique d’État qui trouve des échos troublants dans les discours nationalistes extrêmes, non seulement en République dominicaine, mais aussi à travers le monde. La machine haineuse tourne à plein régime sous l’égide de figures politiques comme Luis Abinader, président de la République dominicaine, dont la rhétorique s’apparente dangereusement à celle des régimes autoritaires du passé.
Des actes de barbarie révoltants
L’une des scènes les plus révoltantes de cette tragédie a été immortalisée sur une vidéo où un agent d’immigration tire à bout portant sur un Haïtien réfugié sur le toit d’une maison en dalle béton. Cette exécution sommaire, filmée et partagée sur les réseaux sociaux, témoigne d’une violence décomplexée. Mais ce n’est qu’une pièce dans le puzzle sordide de la déshumanisation des Haïtiens.
Une autre vidéo circule, tout aussi choquante : un homme haïtien est horriblement violé par deux autres individus, entourés de complices qui applaudissent et lancent des insultes anti-haïtiennes. Ces scènes insoutenables, où l’horreur et l’humiliation se rejoignent, ne sont que les manifestations les plus visibles d’une haine qui gangrène les relations entre les deux nations partageant la même île.
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Les crimes racistes en République dominicaine se multiplient et ne datent pas d’hier. On se souvient que le 31 octobre 2019, le corps d’Eddy Joseph, un jeune Haïtien de 19 ans, a été retrouvé pendu par des suprémacistes dominicains dans un champ de canne à sucre à Puerto Plata.
Cette pendaison macabre fait écho à celle de Claude Jean Harry, un cireur de chaussures connu et apprécié dans son quartier, surnommé Tulipe, un autre Haïtien de 19 ans, retrouvé pendu en 2015 sur une place publique de Santiago. Ces actes rappellent les lynchages d’un autre temps, où le seul crime de ces jeunes était leur origine africaine. Ils étaient noirs, comme la grande majorité des Haïtiens.
La déshumanisation institutionnalisée
La violence raciste en République dominicaine n’est pas seulement le fait d’individus ou de groupuscules. Elle est, dans bien des cas, encouragée et légitimée par les institutions elles-mêmes. L’arrêt du 23 septembre 2013 adopté par la Cour Constitutionnelle de la République Dominicaine, est l’un des exemples les plus flagrants de cette politique d’exclusion. Cette réforme constitutionnelle a retiré la citoyenneté à des milliers de Dominicains noirs et d’origine haïtienne, créant une génération d’apatrides. Ces personnes, nées en République dominicaine et y ayant toujours vécu, se sont soudainement retrouvées sans nationalité, apatrides, sans droits, sans avenir.
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Sous le prétexte de protéger la “souveraineté nationale”, le gouvernement dominicain a légitimé une xénophobie institutionnelle qui trouve son expression dans des actes de violence répétés contre les Haïtiens. Cette politique d’État, loin de protéger les intérêts nationaux, alimente la haine et la division, fragilisant davantage une région déjà marquée par des tensions historiques.
Au nom de la lutte contre l’immigration clandestine, la République dominicaine organise l’enlèvement de personnes noires qu’elle reconduit à la frontière. Certain·es sont des exilé·es haïtien·nes, d’autres vivaient dans le pays depuis des générations. Ces actions ciblées, où la couleur de peau détermine le sort des individus, illustrent une fois de plus le racisme profondément enraciné dans les structures politiques et sociales dominicaines.
Le parallèle avec l’Histoire
Pour comprendre les racines de cette haine contre les Haïtiens, il faut remonter à 1937, sous la dictature de Rafael Trujillo. Ce dictateur dominicain est responsable de l’un des épisodes les plus brutaux de l’histoire de la région : le génocide du Persil. Trujillo, animé par une idéologie raciste, décida d’éradiquer les Haïtiens vivant le long de la frontière dominicano-haïtienne. En octobre 1937, l’armée dominicaine a lancé une campagne de nettoyage ethnique, tuant entre 20 000 et 35 000 Haïtiens en quelques jours.
Le nom du massacre provient d’une méthode utilisée par les soldats dominicains pour identifier les Haïtiens : ils demandaient aux suspects de prononcer le mot “persil” (perejil en espagnol), un mot difficile à prononcer pour les Haïtiens dont la langue maternelle est le créole. Ceux qui échouaient à le dire correctement étaient immédiatement exécutés. Les corps des victimes ont été jetés dans les rivières, symbolisant un acte de purification ethnique, destiné à “nettoyer” le territoire dominicain.
Ce massacre raciste, orchestré par l’État dominicain, a laissé des cicatrices profondes dans les relations entre les deux pays et continue d’alimenter les sentiments anti-haïtiens aujourd’hui. Trujillo cherchait non seulement à renforcer l’identité dominicaine en opposition à celle des Haïtiens, mais aussi à consolider son pouvoir en jouant sur les peurs et les préjugés de la population.
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En analysant de près la situation en République dominicaine, il est impossible de ne pas tracer des parallèles avec d’autres moments sombres de l’Histoire. La rhétorique de Luis Abinader, avec son insistance sur la “protection de la nation” face à l'”invasion” haïtienne, rappelle de manière troublante celle d’Adolf Hitler dans les années 1930. Hitler a, lui aussi, dirigé sa haine principalement contre les Juifs, qu’il considérait comme une menace pour la “pureté” de la race aryenne. Cela a conduit à l’Holocauste, où environ six millions de Juifs ont été exterminés dans une tentative génocidaire.
Mais Hitler ne s’est pas arrêté aux Juifs. Il a persécuté d’autres groupes considérés comme inférieurs, tels que les Roms (Tsiganes), les Slaves (Polonais, Russes, Ukrainiens, etc.), les Afro-Allemands, les personnes handicapées, les homosexuels (particulièrement les hommes), les francs-maçons, les prisonniers de guerre soviétiques, les dissidents religieux (membres des églises catholique et protestante), les Témoins de Jéhovah, et bien sûr, ses opposants politiques (communistes, socialistes, syndicalistes). Il a instauré un climat de terreur, où la haine était non seulement encouragée, mais institutionnalisée, tout comme nous le voyons aujourd’hui en République dominicaine à l’égard des Haïtiens. Ce qui se passe sous Abinader fait écho à cette dynamique de haine organisée et légitimée par l’État, et doit être combattu avec la même fermeté que l’on combat les idéologies racistes et extrémistes à travers le monde.
Une solidarité humaine nécessaire
Cette instrumentalisation de la haine contre les Haïtiens a pris une dimension internationale avec la candidature de Donald Trump aux États-Unis. Ses discours sur les immigrants haïtiens, accusés de manger des chiens, ont contribué à raviver les sentiments anti-haïtiens, renforçant les stéréotypes et les préjugés. Ce climat de haine transnationale trouve un terrain fertile en République dominicaine, où les autorités semblent encourager, voire orchestrer, ces violences.
Face à cette montée de la haine, que peuvent faire les Haïtiens et les Dominicains qui rêvent d’une coexistence pacifique ? La première étape est de reconnaître la gravité de la situation et d’appeler à une action internationale. La communauté internationale doit mettre la pression sur le gouvernement dominicain pour qu’il mette fin à ces exactions et rétablisse les droits fondamentaux des personnes d’origine haïtienne. [Amnesty International]
De plus, les Haïtiens eux-mêmes doivent s’unir pour faire face à cette menace existentielle. Il est temps de mettre fin aux divisions internes et de construire un front commun contre les violences racistes. Les politiciens haïtiens, qui se complaisent dans des querelles stériles et des luttes de pouvoir, doivent se rendre compte de l’urgence de la situation. Le moment est venu de rétablir une présidence fonctionnelle en Haïti et de s’engager dans une politique extérieure qui protège réellement les intérêts des citoyens haïtiens, où qu’ils se trouvent.
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Au-delà des frontières de la République dominicaine et d’Haïti, cette crise interpelle l’humanité tout entière. Le racisme, la violence et l’exclusion ne sont pas des phénomènes isolés. Ils se répètent à travers l’histoire et dans différents contextes. Ce qui se passe en République dominicaine aujourd’hui est un avertissement pour le monde : si nous n’agissons pas maintenant, nous risquons de voir ces violences se reproduire ailleurs, sous d’autres formes.
La République dominicaine, autrefois vue comme une destination touristique idyllique, est aujourd’hui le théâtre de crimes racistes qui doivent être dénoncés à l’échelle internationale. Nous ne pouvons plus détourner le regard face à cette haine sans fin qui consume l’île.
Les Haïtiens, en quête de dignité et de reconnaissance, méritent le soutien de la communauté internationale et des peuples du monde entier. Ensemble, nous devons mettre fin à cette tragédie et œuvrer pour un monde où la diversité est célébrée et où les différences ne sont plus une excuse pour justifier la haine.
Le jour où nous cesserons de défendre les victimes et les opprimés, nous cesserons d’être humains. Car le silence face à l’injustice aujourd’hui est la violence qui nous écrasera demain.
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