L’histoire d’Haïti, riche en défis, recèle également des moments de grandeur et de solidarité internationale souvent méconnus. L’un des épisodes les plus significatifs de cette histoire est sans doute la manière dont Haïti, sous la présidence de Sténio Vincent, a lutté contre le nazisme et a tendu la main aux Juifs persécutés en Europe.
Dès l’ascension d’Adolf Hitler en Allemagne, la condamnation du nazisme fut unanime parmi les intellectuels haïtiens, notamment Dantès Bellegarde et Jacques Roumain, dont les voix résonnaient contre la barbarie et l’antisémitisme.
Dantès Bellegarde, diplomate et fervent défenseur des droits de l’homme, dénonça vigoureusement l’idéologie nazie dans ses écrits et discours. Jacques Roumain, écrivain et militant politique, utilisa sa plume pour sensibiliser le public haïtien et international aux dangers du fascisme. Leurs contributions intellectuelles posèrent les bases d’un rejet catégorique du nazisme par la société haïtienne.
L’État haïtien ne se limita pas à une désapprobation verbale de l’idéologie nazie. En réalité, Haïti mit en place des mesures concrètes pour venir en aide aux Juifs d’Europe. En anticipant la crise humanitaire, le gouvernement haïtien accepta ces derniers comme réfugiés politiques et facilita leur naturalisation grâce à un décret-loi. Ce décret, promulgué le 29 mai 1939 par le président Sténio Vincent, permit d’octroyer la nationalité haïtienne in absentia aux réfugiés juifs, leur offrant ainsi une échappatoire face à la persécution nazie.
Cette initiative audacieuse, entreprise par un pays souvent perçu comme marginalisé, soulignait le prestige d’Haïti à cette époque, encore empreinte de son rôle historique de terre de liberté. Haïti proposa même de créer un refuge pour 50 000 Juifs sur l‘Île de la Gonâve, une proposition innovante qui malheureusement fut contrecarrée par le secrétaire d’État américain de l’époque, Cordell Hull. Ce dernier, prix Nobel de la paix en 1945, refusa cette proposition pour des raisons restées jusqu’à ce jour mystérieuses.
Pourquoi Cordell Hull a-t-il refusé cette proposition? Plusieurs hypothèses ont été avancées par les historiens. Certains suggèrent des préoccupations géopolitiques, d’autres évoquent des pressions internes aux États-Unis, où des sentiments isolationnistes et antisémites étaient encore présents. Quelle que soit la raison exacte, ce refus a marqué un tournant dans l’histoire de la migration juive durant cette période.
L’engagement d’Haïti dans cette cause humanitaire est bien documenté dans des ouvrages historiques. Le docteur Joseph Junior Bernard, infatigable chercheur et passionné des relations internationales d’Haïti, a publié un essai essentiel intitulé « Histoire juive d’Haïti » en avril 2013. Ce livre explore en profondeur les efforts d’Haïti pour offrir un refuge aux Juifs et les implications de ces actions sur la scène internationale. Bernard décrit comment Haïti, malgré ses propres défis économiques et sociaux, a su démontrer une humanité et une générosité exemplaires.
De plus, le recueil « L’un pour l’autre », rédigé par des étudiants juifs montréalais et haïtiens après le tremblement de terre de 2010, rend hommage à cette solidarité. Publié sous la direction de Maurice Chalom par Les Éditions du CIDIHCA au Québec, ce recueil témoigne de l’humanité partagée par les peuples haïtien et juif. Ce projet a bénéficié du soutien de la ville de Montréal, du gouvernement du Canada, et du Conseil des Arts du Canada, soulignant l’importance de ces relations historiques et culturelles.
Les archives et documents historiques disponibles aujourd’hui permettent de redécouvrir et d’apprécier l’engagement d’Haïti dans la lutte contre le nazisme. Pour ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances sur ce sujet crucial, il est recommandé de consulter les travaux de Frantz Voltaire, Roland Paret, et les archives de Radio Canada International (RCI), qui offrent une perspective riche et détaillée sur cette période.
En somme, l’histoire de la solidarité d’Haïti envers les Juifs persécutés est une page d’humanité et de dignité qui mérite d’être célébrée et enseignée, rappelant à tous que même les nations les plus modestes peuvent jouer un rôle crucial dans la défense des droits de l’homme et de la justice internationale.
Crédits image: CIDIHCA. Informations: Frantz Voltaire, Roland Paret, Dr. Joseph Junior Bernard, Radio Canada International RCI
Thélyson Orélien
Le Huffington Post Québec
