Il y a dans les nouvelles parfois des coïncidences trop parfaites pour ne pas ressembler à une fable. On les lit, on se pince, on se dit : si c’était écrit dans un roman, on accuserait l’auteur d’exagération. Mais la réalité a ce talent-là, d’écrire elle-même ses ironies.
Charlie Kirk, figure américaine de la droite dure, est mort assassiné. Pas besoin de se réjouir, il ne s’agit pas de ça. Je condamne profondément cet acte, car aucune idéologie ne justifie l’effacement brutal d’une vie humaine : chaque mort est une faillite de notre humanité commune. La mort d’un homme, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, reste une mort. Elle laisse un corps froid, des proches en larmes, une chaise vide. On ne danse pas sur un cadavre. Mais il y a malgré tout, dans cette fin, une sorte de morale cruelle : Kirk est tombé sous les balles d’une violence qu’il avait passé sa vie à encourager.
Il y a des gens qui croient que plus il y a d’armes, plus on est en sécurité. Charlie Kirk faisait partie de ces voix qui, à plusieurs reprises dans ses vidéos, affirmaient que les morts par balle étaient un mal nécessaire, et que le port d’armes incarnait une liberté inaliénable. L’arme à feu, pour lui, c’était une prolongation de la liberté, une sorte de bible métallique. On la brandissait comme un droit sacré. On la caressait comme un talisman. On en faisait une solution magique contre tous les problèmes. Et pourtant, l’arme, la vraie, ne connaît pas l’idéologie. Elle n’est ni de droite ni de gauche. Elle fait son travail : elle tire. Elle ne distingue pas celui qui l’a défendue de celui qui la déteste. C’est peut-être ça, la vraie leçon : la logique du flingue finit toujours par s’imposer à tous.
Ce n’est pas la première fois que l’histoire se retourne ainsi. On peut mourir de ce qu’on prêche. L’alcoolique meurt de cirrhose, le fumeur de ses cigarettes, le conducteur ivre de son accident. Ici, l’homme qui sacralisait les armes à feu est mort d’une arme à feu. L’ironie est si grosse qu’elle donne presque envie de détourner les yeux, par pudeur. Parce qu’au fond, cette mort raconte plus que l’histoire d’un individu. Elle raconte l’histoire d’une société entière, où la balle est devenue un langage.
On a longtemps idéalisé l’Amérique, même ici, au nord, au Québec. L’Amérique de la prospérité, du rêve, des routes infinies. Mais il y a une autre Amérique, celle qui se regarde chaque matin dans un miroir brisé. Une Amérique qui a fait de la violence une habitude, comme on boit son café. Cette Amérique-là vit armée jusqu’aux dents, persuadée qu’elle contrôle ses démons alors qu’elle ne fait que les nourrir. Charlie Kirk en était un des apôtres. Il prêchait, avec ses mots, une Amérique barricadée, paranoïaque, qui croit qu’un fusil peut remplacer un projet de société.
Ce qui me frappe, ce n’est pas l’écho des coups de feu, mais le silence qui suit. Dans ce silence-là, il n’y a pas de slogans, pas de débats télévisés, pas de chroniques enflammées. Il y a juste une évidence : une vie s’est arrêtée. Et autour, des gens qu’il avait séduits, convaincus, galvanisés, découvrent soudain que la rhétorique n’immunise pas contre le plomb. On peut défendre les armes tous les jours de sa vie et être terrassé par une seule.
Si on racontait cette histoire à des enfants, ce serait une fable : « Il était une fois un homme qui croyait que les armes rendaient fort. Un jour, une arme le tua. » La morale serait simple : on finit toujours par être rattrapé par ce qu’on alimente. Mais nous ne sommes pas des enfants, et nous savons que la réalité est plus sale, plus compliquée. Ce n’est pas parce que Kirk est mort ainsi que ses idées mourront avec lui. Au contraire, elles vont peut-être se durcir, s’exalter, devenir encore plus bruyantes dans les semaines à venir.
Alors, à quoi bon raconter cette mort ? À quoi bon chercher une morale ? Peut-être simplement pour se rappeler que les idées ont des conséquences. Quand on banalise la violence, quand on glorifie l’arme, quand on répète que la force est la seule solution, on sème quelque chose. Et tôt ou tard, ce quelque chose pousse. Pas toujours chez l’ennemi. Parfois, il se retourne contre soi.
Reste la dignité, qui est la seule réponse possible à la mort. Ne pas se réjouir, même si l’envie nous effleure, même si la tentation est grande de dire : « Bien fait. » Non. On n’applaudit pas un assassinat. On ne fête pas la balle. On constate seulement la triste ironie d’un destin, et on se tourne vers la vie. Parce qu’il y a toujours, quelque part, une épouse, un enfant, un ami qui pleure. Et eux ne méritent pas qu’on enfonce le clou du malheur.
La morale ? Elle tient en peu de mots : on finit toujours par mourir de ce qu’on entretient. Si l’on nourrit la haine, elle se retourne contre nous. Si l’on nourrit la peur, elle nous enferme. Si l’on nourrit la violence, elle finit par nous prendre. Et si l’on nourrit la vie — même à petites gorgées, même maladroitement — alors, peut-être, c’est elle qui nous portera un peu plus loin.
——— Note : On ne se réjouit jamais de la mort d’un homme. Derrière le personnage public, il y a une famille, des proches, des enfants. La dignité consiste à compatir, même quand on n’aimait pas ses idées.En savoir plus sur Le Blog de Thélyson Orélien
Subscribe to get the latest posts sent to your email.

