Gabriel Nadeau-Dubois tire sa révérence. Quinze ans après avoir été propulsé sous les projecteurs du printemps érable, le militant devenu chef parlementaire de Québec solidaire annonce son départ de la vie politique. Une décision qui marque la fin d’un cycle pour une génération engagée, mais aussi l’occasion de s’interroger sur l’héritage de cette gauche contestataire qui a tenté de se structurer sans perdre son âme. En tant qu’ancien étudiant étranger, témoin des premières heures de cette mobilisation, je revis cette époque, avec ses espoirs, ses contradictions et ses angles morts. Que reste-t-il du feu qui animait ces luttes ? Et surtout, comment continuer à porter ces idéaux dans un monde politique qui semble broyer même les plus sincères ?
Printemps érable, automne politique
Le printemps érable a marqué une génération. J’y étais, au milieu des clameurs, des carrés rouges cousus à la va-vite et des foules déferlantes qui scandaient un idéal de justice sociale. Mais j’y étais en tant qu’étudiant étranger, un spectateur engagé mais en marge, un allié dont la cause restait en périphérie. Car si la lutte concernait l’augmentation des droits de scolarité des étudiants québécois, elle ne visait pas ceux qui, comme moi, payaient déjà quatre à cinq fois plus cher pour accéder aux mêmes bancs d’université.
C’est dans cet écart que se jouait une contradiction discrète, mais révélatrice : une lutte populaire qui, dans sa grandeur et sa sincérité, restait pourtant aveugle à certaines injustices parallèles. Aujourd’hui, en lisant la lettre de Gabriel Nadeau-Dubois, ce jeune tribun devenu l’un des symboles de ce soulèvement étudiant avant de plonger dans la politique active, je ressens un étrange mélange de nostalgie et d’interrogation. Son départ de la vie politique est à la fois un épilogue et une ouverture : il ferme la porte d’une époque et pose la question de ce qui vient après.
La fatigue du combat
Quinze ans de militantisme. Une vie rythmée par les luttes, les débats, les slogans, les espoirs et les désillusions. Nadeau-Dubois a incarné cette gauche combative qui, après s’être construite dans la rue, a tenté de s’institutionnaliser, d’entrer dans les rouages du pouvoir sans perdre son âme.
Mais voilà : la politique est une machine qui broie les idéaux. Même chez les plus sincères, elle épuise, use, assèche. Il l’admet lui-même : il est fatigué, marqué par les crises successives qui ont secoué Québec solidaire. Lui qui, jadis, galvanisait les foules, constate aujourd’hui que son élan s’est tari.
Sa lettre n’est pas seulement une annonce ; c’est aussi un constat d’échec partiel. Il a voulu transformer une contestation en une force de gouvernance, faire de son parti une alternative crédible à gauche. Mais les vents contraires ont été violents. Québec solidaire a vacillé, s’est déchiré, a perdu du terrain face à une droite qui, elle, avance unie et conquérante.
Son départ est un acte de lucidité, une manière d’éviter de devenir ce qu’il a toujours dénoncé : un politicien qui s’accroche à son siège malgré l’évidence.
J’ai toujours regardé les luttes québécoises avec une forme d’admiration teintée de détachement. Le Québec se veut une terre de justice sociale, un bastion progressiste en Amérique du Nord. Et pourtant, le combat mené en 2012 avait ses angles morts.
Les étudiants étrangers n’étaient pas au cœur du débat. Nous étions là, nous marchions, nous soutenions la cause, mais la précarité qui était la nôtre semblait secondaire. Le coût exorbitant de nos études ne soulevait pas la même indignation que l’augmentation imposée aux Québécois.
Ce paradoxe m’est toujours resté en travers de la gorge : comment une lutte pour l’égalité pouvait-elle occulter ceux qui, déjà, subissaient des inégalités plus grandes ? Comment une mobilisation aussi massive pouvait-elle ne pas inclure les voix de ceux qui, pourtant, partageaient les mêmes amphithéâtres, les mêmes espoirs, les mêmes rêves d’un avenir meilleur ?
L’héritage d’une génération
Gabriel Nadeau-Dubois quitte la politique, mais son combat ne s’arrête pas là, affirme-t-il. Il continuera autrement. Par quels moyens ? Il ne le sait pas encore. Mais une chose est sûre : le monde qu’il laisse derrière lui est bien différent de celui qu’il espérait transformer.
Le Québec est traversé par des fractures profondes. La crise du logement étrangle les jeunes générations, le système de santé s’effrite, les inégalités se creusent. L’idéalisme du printemps érable semble bien loin. Ceux qui ont marché en 2012 sont aujourd’hui des adultes confrontés aux dures réalités du marché du travail, du coût de la vie, des déceptions politiques.
Et pourtant, Nadeau-Dubois persiste à croire en l’espoir. C’est sans doute sa plus grande force : ne jamais céder au cynisme, même après quinze ans de batailles, de compromis et de déceptions.
Mais Québec solidaire ne s’est pas construit sur une seule figure. Il est le fruit d’une longue tradition de militants, dont certains ont pavé la voie bien avant le printemps érable.
On ne peut parler de l’héritage de ce parti sans mentionner Amir Khadir, un pionnier du mouvement, premier député solidaire élu en 2008, médecin et militant infatigable contre les inégalités. Khadir, avec son franc-parler et son engagement viscéral pour la justice sociale, a souvent été perçu comme la conscience du parti, n’hésitant pas à critiquer même ses propres alliés quand il le jugeait nécessaire.
Puis, il y a Françoise David, cette femme au charisme tranquille, cofondatrice de Québec solidaire, qui a porté la voix des plus vulnérables avec une humanité rare. Son départ en 2017 a laissé un vide immense. Elle représentait une forme de politique bienveillante et déterminée, une volonté de bâtir des ponts plutôt que de creuser des fossés.
Et bien sûr, Manon Massé, cette voix rauque et puissante, emblème d’une gauche ancrée dans la réalité des luttes populaires. Manon, avec son énergie brute et sa sincérité désarmante, a incarné une autre facette du mouvement : celle qui parle aux oubliés, aux travailleurs précaires, aux minorités invisibilisées.
Ces figures ont marqué l’histoire récente du Québec. Elles ont façonné Québec solidaire et tenté d’inscrire une vision du monde dans l’espace politique québécois. Elles ont aussi, chacune à leur manière, illustré la difficulté de conjuguer militantisme et institutionnalisation.
Le poids de l’engagement
La politique est un marécage où même les plus intègres finissent par s’enliser. Il n’est pas rare de voir des figures militantes entrer dans le système avec des idéaux flamboyants, puis ressortir quelques années plus tard, usés, désabusés. Le pouvoir est un combat de longue haleine, une lutte où la pureté des intentions se heurte à la complexité du réel.
En cela, son départ est presque un aveu d’impuissance. Il quitte sans amertume, mais avec la conscience que le chemin vers le changement est plus ardu qu’il ne l’avait imaginé.
Mais peut-être est-ce là, aussi, une preuve de cohérence. Savoir partir au bon moment est une rareté en politique. Beaucoup s’accrochent, redoutant le vide laissé par l’abandon des projecteurs. Lui choisit de se retirer avant de devenir un poids pour son propre camp.
Que restera-t-il de ce départ ? Québec solidaire trouvera-t-il un nouveau souffle ? Les idéaux du printemps érable ont-ils encore une place dans le Québec d’aujourd’hui, ou sont-ils devenus des souvenirs nostalgiques d’une époque révolue ?
Plus largement, que signifie militer en 2025 ? Les luttes sociales sont toujours là, mais les formes de contestation ont changé. Le militantisme s’est digitalisé, éclaté en une multitude de causes fragmentées. La mobilisation de masse, telle que nous l’avons connue en 2012, est-elle encore possible ?
L’histoire jugera ce que le passage de Gabriel Nadeau-Dubois et de ses prédécesseurs aura réellement changé. Mais une chose est certaine : leur combat a laissé une empreinte. Et le Québec, malgré ses contradictions, demeure une terre où l’engagement a encore un sens.
Une fin qui n’en est pas une
Les adieux en politique ne sont jamais définitifs. L’histoire est remplie de départs qui ressemblent à des fins, mais qui, en réalité, ne sont que des détours avant un retour sous une autre forme. Gabriel Nadeau-Dubois quitte Québec solidaire, mais son combat ne disparaît pas pour autant. Comme un fleuve qui atteint la mer, il se fond dans un horizon plus vaste, prêt à irriguer d’autres terres, sous d’autres formes, avec d’autres moyens.
L’engagement ne se mesure pas uniquement au nombre d’années passées à siéger dans une assemblée. Il se manifeste aussi dans les conversations autour d’un café, dans les débats entre amis, dans les gestes du quotidien, dans l’éducation de ses enfants, dans la manière dont on choisit de regarder le monde. Peut-être que demain, il ne posera plus de questions incisives au Premier ministre, mais il continuera d’interpeller la société, autrement.
Québec solidaire, lui, devra survivre à cette transition. Sans Amir Khadir, sans Françoise David, sans Gabriel Nadeau-Dubois, sans les figures qui ont marqué son ascension, il devra redéfinir son avenir. L’histoire de la gauche est une succession de fractures et de renaissances. Peut-être est-ce le début d’un nouveau cycle, ou peut-être est-ce le signal que le parti, tel qu’il existe aujourd’hui, doit se transformer profondément pour ne pas disparaître.
Et nous, que retiendrons-nous de cette époque ? Le printemps érable fut un moment charnière, une secousse qui a rappelé que la jeunesse peut encore se lever, que l’indignation peut encore trouver une voix. Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Une nostalgie ? Une leçon à méditer ? Ou un appel à réinventer les luttes d’aujourd’hui ?
Dans sa lettre, Gabriel Nadeau-Dubois parle d’indignation et d’espoir. Ce sont là deux moteurs essentiels de l’engagement, mais aussi deux énergies fragiles, menacées par le cynisme et l’usure. Le plus grand défi de notre génération ne sera peut-être pas de faire trembler la rue comme en 2012, mais de continuer à croire, malgré tout, que la politique peut encore être autre chose qu’une mécanique désenchantée.
L’histoire ne s’arrête jamais, et les grands départs ne sont souvent que des pauses avant une nouvelle tempête. Le fleuve rejoint la mer, mais il continue de se mêler aux courants, façonnant discrètement les rivages qu’il caresse.