Haïti : neuf dirigeants « complètement cons » et un pays pris en otage

Dans une vidéo captée à Rio de Janeiro, Emmanuel Macron a qualifié les dirigeants haïtiens de « complètement cons », suscitant un tollé diplomatique. Si l’insulte choque, elle résonne étrangement avec la réalité d’un État plongé dans le chaos, dirigé par neuf leaders incapables de sortir le pays de sa descente aux enfers. Entre satire et tragédie, cette chronique explore les rouages d’une farce politique aux conséquences dramatiques.

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Mercredi 20 novembre, une vidéo filmée en marge du G20 à Rio de Janeiro a enflammé les réseaux sociaux. On y voit Emmanuel Macron, président français, dans un moment de relâchement inédit, qualifier les responsables haïtiens de « complètement cons ».

Une phrase prononcée, dit-on, en réponse à un citoyen haïtien accusant la France d’être à l’origine des malheurs d’Haïti. La scène ? Loin des micros officiels, mais captée par l’œil impitoyable d’une caméra. Résultat : un tollé à Port-au-Prince, la convocation de l’ambassadeur français et un torrent de débats en Haïti et ailleurs.

Mais au-delà de l’indignation immédiate, cette déclaration ne reflète-t-elle pas, malgré sa brutalité, une vérité difficile à avaler ? Car derrière les mots crus, il y a un pays où le dysfonctionnement est devenu la norme et où neuf dirigeants officiels se disputent le contrôle d’un État à la dérive.

Une capitale à bout de souffle

Port-au-Prince, autrefois cité vibrante d’histoire et de culture, est devenue un théâtre d’absurdité et de tragédie. Les rues, jadis vivantes et bondées, sont désormais synonymes de barricades enflammées, de fusillades sporadiques et de rapts en plein jour. Les autorités ? Presque invisibles. Les forces de l’ordre ? Largement dépassées, souvent corrompues ou impuissantes face aux gangs armés.

Dans l’impossibilité de s’accorder sur un seul capitaine pour naviguer le navire en perdition, voilà que neuf marins ambitieux s’autoproclament capitaines de fortune. Ensemble, ils forment un Conseil présidentiel de transition — un nom pompeux pour une symphonie cacophonique. Chacun brandit sa propre clé, promettant d’ouvrir la porte vers des jours meilleurs, mais on dirait qu’aucun ne sait où se trouve la serrure. Pendant ce temps, Port-au-Prince, cette capitale qui devrait être le moteur du pays, ressemble plutôt à un cœur agonisant. Étouffée par l’incompétence, minée par les rivalités et gangrenée par la corruption, elle donne l’impression de battre ses derniers rythmes, sans médecin pour prescrire un remède ni pilote pour stabiliser le vol chaotique.

L’OIM alerte sur une crise humanitaire à Port-au-Prince, où 580 000 personnes sont déplacées, dont 270 000 en trois mois, en raison de violences armées.

Neuf présidents pour une capitale ! Même une mauvaise sitcom aurait trouvé ça un peu trop gros. Mais ici, ce n’est pas Netflix, c’est la vraie vie. Et le scénario est aussi pathétique qu’improbable. Imaginez la réunion de ces neuf esprits éclairés. Peut-être une table ronde où chacun s’échine à définir ce qu’il entend par « leadership »… entre deux gorgées de café tiède, bien sûr. Et attendez, ce n’est pas tout ! Car autour de cette fameuse table, on trouve aussi une pléiade de ministres en renfort – un ministre de la Justice pour disserter sur la morale, un ministre de la Sécurité publique pour assurer que tout est sous contrôle (mais évidemment, ce n’est pas le cas), et d’autres encore, chacun avec sa tasse de café tiède et sa définition bien personnelle de la « responsabilité ». Un casting tellement absurde qu’on se demande si le prochain acte ne sera pas une comédie musicale !

Macron a choqué, mais dans cette outrance verbale, se pose une question légitime : à qui revient la faute du naufrage d’Haïti ? La France, ancienne puissance coloniale, a sa part d’histoire dans les cicatrices du pays. Les ingérences internationales, les pressions financières et les dictats de certaines grandes puissances ont façonné une partie des crises actuelles. Mais Haïti n’est-elle pas aussi victime de ses propres choix et de l’incapacité chronique de sa classe dirigeante ?

Neuf « présidents », et pourtant pas un plan concret pour sortir le pays de l’ornière. Pendant ce temps, les gangs armés, sous des chefs comme Jimmy Chérizier alias « BBQ », prospèrent dans une organisation presque militaire. Leur structure contraste avec l’atomisation totale des institutions étatiques. Là où les « leaders » politiques peinent à gouverner une rue, les gangs contrôlent des quartiers entiers avec une redoutable efficacité.

On peut même imaginer une sorte de compétition implicite : d’un côté, Mr BBQ, maître incontesté du chaos organisé ; de l’autre, nos neuf capitaines du naufrage, rivalisant de créativité pour inventer de nouvelles façons de ne rien faire.

Le chef de gang Jimmy « Barbecue » Cherizier avec les membres de la fédération de gang G9-Viv ansanm. (GettyImage)

Garry Conille, héros ou bouc émissaire ?

Macron, dans sa diatribe, défend également Garry Conille, ancien Premier ministre éphémère, limogé après seulement cinq mois à son poste. « Super », « formidable », affirme le président français. Mais pour qui ? Si certains voyaient en Conille un technocrate compétent, d’autres en Haïti le considèrent comme un homme sans véritable assise politique, dépassé par les luttes internes et les rivalités d’un système gangrené.

Son départ n’a pas surpris grand monde. En Haïti, la scène politique est un échiquier complexe, où les alliances se font et se défont au gré des intérêts personnels. Mais ce que Macron semble ignorer – ou feint d’ignorer – c’est que l’avenir d’Haïti ne peut se reposer sur une seule figure, aussi « formidable » soit-elle.

Peut-être que pour Macron, défendre Conille est une façon de trouver un personnage sympathique dans ce carnaval de l’incompétence. Mais soyons honnêtes : Conille n’est pas le sauveur qu’on attendait.

Pendant que les dirigeants rivalisent d’incompétence, c’est le peuple haïtien qui paie le prix fort. Ceux qui arpentent les rues de Port-au-Prince ne se soucient pas de savoir si Conille était un « super » Premier ministre. Ils cherchent de l’eau, de la nourriture, un endroit sûr où dormir. Ils fuient les tirs, prient pour ne pas être kidnappés, et espèrent, contre toute attente, un jour meilleur.

Dans ce décor de désolation, il reste une lueur d’espoir : la résilience du peuple haïtien. Malgré les tragédies successives – séismes, cyclones, insécurité, crises politiques – Haïti survit. Ses habitants trouvent des moyens de sourire, de créer, de rêver. Mais cette résilience ne doit pas devenir une excuse pour l’inaction des élites ou pour l’indifférence de la communauté internationale.

D’ailleurs, si la résilience était un sport olympique, Haïti aurait probablement décroché toutes les médailles d’or. Mais qui veut d’une telle gloire quand les épreuves du quotidien sont si cruelles ?

Garry Conille, ancien Premier ministre éphémère, limogé après seulement cinq mois à son poste (Image Libre de droit)

L’ironie du pouvoir : neuf têtes, zéro vision

Neuf présidents pour une capitale qui sombre. Cela aurait pu être le scénario d’une comédie politique grinçante, si ce n’était une réalité aussi tragique. La multiplication des chefs autoproclamés illustre parfaitement la vacuité d’un pouvoir dispersé, où chacun tire la couverture à soi sans se soucier du froid qui gèle la nation tout entière.

Le constat est simple : Port-au-Prince n’a pas besoin de neuf présidents. Elle a besoin d’un État fonctionnel, d’institutions fortes, et d’une vision claire pour l’avenir. Mais pour cela, il faut plus que des mots, plus que des invectives, plus que des déclarations de bonnes intentions. Il faut des actes.

Et il faudrait peut-être commencer par poser une question cruciale : qui a laissé la porte ouverte pour que neuf personnes s’y engouffrent en même temps ?

Macron, avec son commentaire cinglant, a peut-être ouvert une porte. Certes, ses mots sont offensants. Mais ils pourraient aussi servir de déclencheur, une claque nécessaire pour réveiller une classe politique endormie. Car si les Haïtiens sont capables de supporter l’insupportable, il est temps que leurs dirigeants montrent qu’ils peuvent enfin assumer leurs responsabilités.

Peut-être qu’un jour, l’histoire retiendra cette vidéo comme un tournant. Un moment où le ridicule a atteint un tel sommet qu’il ne restait plus qu’à redescendre, vers quelque chose de plus constructif.

Haïti, malgré ses douleurs, reste une terre de promesses. Mais ces promesses ne se réaliseront que si les « neuf cons » deviennent enfin des hommes et des femmes d’État. Et si le monde, au lieu de juger de loin, choisit d’accompagner ce pays dans un véritable renouveau.

L’histoire d’Haïti n’est pas celle d’une fin inéluctable. Elle est celle d’un peuple qui refuse de sombrer, même quand ses dirigeants l’y poussent. Alors, que retenir de cette vidéo ? Pas seulement l’insulte. Mais aussi l’urgence d’un sursaut.

Parce qu’en fin de compte, ce ne sont pas les neuf cons qui définiront l’avenir d’Haïti. Ce sera le courage d’un peuple qui, depuis toujours, refuse de céder à la fatalité.

Auteur

Thélyson Orélien

Passionné par l'écriture, j'explore à travers ce blog divers sujets allant des chroniques et réflexions aux fictions et essais. Mon objectif est de partager des perspectives nouvelles, d'analyser des enjeux contemporains et de stimuler la pensée critique.
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