Il y a des moments où l’on se demande si les idéaux de démocratie et de liberté ne sont pas simplement des concepts qu’on évoque à la légère, sans même plus croire en leur véritable essence. Un de ces moments est venu, et son nom pourrait bien être Elon Musk.
Oui, ce magnat sud-africain, canadien, américain — mondial, diront certains — n’est plus seulement celui qui nous promet des voitures électriques pour sauver la planète ou des fusées pour l’explorer. Non, il est aussi celui qui a misé une coquette somme, 200 millions de dollars, sur Donald Trump, le candidat qu’il a endossé, récoltant en retour la bagatelle de 70 milliards. Et qui sait ce qui vient ensuite ? Certains observateurs affirment même que ce soutien aurait été motivé par une promesse de Trump : offrir à Musk un poste stratégique dans son administration en cas de victoire.
Difficile de ne pas s’interroger sur cette transaction, à la fois sidérante et presque caricaturale. À première vue, c’est un peu comme une scène de film où deux anti-héros s’unissent pour un coup de maître, une sorte de « Ocean’s Two » pour milliardaires. L’un mise une somme qui ferait frémir le citoyen lambda et récolte une fortune en retour. Tandis que l’autre, avec ses slogans éculés et ses promesses racoleuses, engrange un soutien massif. C’est du jamais-vu. Pour s’assurer de l’ascendance de son candidat, Musk aurait même exploité son contrôle des algorithmes de Twitter, manipulant ainsi la visibilité de certains messages pour influencer l’opinion publique en faveur de Trump. Bien entendu, nous pourrions essayer de relativiser, de se dire que le système politique américain a toujours eu des failles, des faiblesses… mais soyons réalistes : c’est de la vente aux enchères pure et simple, et elle touche directement les fondements de la démocratie.
Quand la démocratie a un prix
Mettons les pieds dans le plat : 200 millions de dollars, c’est cher pour soutenir une candidature, mais ce n’est pas une somme insensée dans le grand jeu de l’argent-roi. Après tout, nous vivons dans une époque où l’on déplace des milliards comme autrefois on échangeait des billes. Mais si ces millions débouchent sur une cascade de milliards, qui, eux, s’ajoutent au pouvoir d’influence, de manipulation et de propagande, alors l’enjeu n’est plus économique, il est existentiel. L’argent devient le levier ultime, la clé de voûte de toutes les décisions.
Elon Musk a eu un retour sur investissement 350 fois la mise. La question ici n’est pas seulement financière. Le problème, c’est ce que cela symbolise : quiconque possède assez d’argent peut orienter le cours de la plus puissante démocratie au monde. Cela, sans passer par les urnes, sans débat public, sans la moindre consultation des citoyens. Où est la liberté ? Où est l’égalité ? Les grands idéaux qui fondent nos sociétés modernes semblent soudain aussi vieux que poussiéreux.
Il y a quelque chose de profondément cynique dans cette transaction. La notion même d’élection semble avoir perdu toute signification. La scène politique se transforme en une immense vitrine où seuls les plus riches peuvent réellement entrer et influer. Comme si l’argent n’était plus le moyen d’atteindre un objectif, mais la finalité elle-même. Voilà, donc, où nous en sommes : la démocratie est désormais l’otage de quelques milliardaires qui « investissent » dans des candidats comme on parie sur des chevaux de course.
Les ambitions de Musk
Certains diront : mais que reprocher à Elon Musk ? Après tout, il a les moyens, alors pourquoi ne pas les utiliser ? Oui, sauf que cet homme ne semble pas s’arrêter à l’idée d’influencer des élections. Il ambitionne plus, beaucoup plus. Et si demain, il voulait lui-même entrer dans la course présidentielle ? Malheureusement (ou heureusement, diront d’autres), cela lui est strictement impossible. En effet, la Constitution des États-Unis impose aux candidats à la présidence d’être des citoyens nés sur le sol américain. Une condition qui exclut Musk, né en Afrique du Sud, malgré ses passeports canadien et américain.
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Alors, où mène cette ambition ? Comment Musk compte-t-il influencer l’avenir politique ? Peut-être en devenant une figure éminente derrière les candidats qu’il appuierait financièrement. Son soutien affiché à des candidats prônant des politiques de dérégulation et de protectionnisme en est une illustration. Il finance notamment des figures qui prônent un allègement des régulations environnementales, une approche qui se conjugue bien avec ses propres intérêts commerciaux. En créant des mouvements politiques, en appuyant des figures éligibles aux postes de pouvoir, il pourrait donc influencer, dans l’ombre, des politiques qui serviraient ses objectifs. En effet, même si la Constitution lui impose une barrière infranchissable, son influence, elle, reste immense.
Un leader ou un despote moderne ?
Et pourtant, certains voient en Musk un visionnaire, un pionnier du futur. On ne peut nier que l’homme a une intelligence exceptionnelle et une audace inégalée. Il a su révolutionner plusieurs secteurs, changer notre rapport à l’énergie, à la technologie, à la mobilité. Mais cette puissance, cette fascination qu’il exerce sur le public, n’est pas sans rappeler une certaine forme de despotisme moderne. Le despote du XXIe siècle n’a pas besoin d’armée ou de trône, il lui suffit de quelques milliards et d’un réseau social.
Ce despote, il manipule des élections, influence l’opinion, et devient au fil du temps une sorte de héros populaire, de sauveur messianique. Car oui, Elon Musk aime jouer les sauveurs. Dans une société où les grands discours ne suffisent plus, où les actes et les investissements parlent d’eux-mêmes, l’homme semble fait pour le rôle.
Il est celui qui sauve l’automobile du déclin, qui redonne des ailes à la conquête spatiale, qui imagine une intelligence artificielle bienveillante. Mais que reste-t-il quand ces prouesses techniques s’allient à un contrôle politique ? Peut-être rien de plus qu’un mythe de plus, un « sauveur » qui, dans sa quête de pouvoir, oublie le peuple pour qui il prétend agir.
La question épineuse
Un aspect de l’influence de Musk a aussi attiré l’attention. Certains l’accusent de soutenir des discours et des politiques teintées de nationalisme, voire de xénophobie. Par exemple, il s’est associé à des figures prônant des politiques migratoires restrictives, ou des restrictions sur les droits sociaux pour certains groupes, notamment par le biais de candidats ayant bénéficié de son soutien. Dans un pays aussi complexe et diversifié que les États-Unis, ces choix politiques peuvent exacerber les tensions raciales et économiques. Cela ne signifie pas que Musk est nécessairement raciste ; ses décisions peuvent également être interprétées comme des choix calculés pour protéger ses intérêts économiques, plus que par idéologie.
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En 2023, la Maison-Blanche elle-même a accusé Elon Musk de « promouvoir de façon abjecte la haine antisémite et raciste » à travers l’une de ses publications sur X (anciennement Twitter), le réseau social qu’il dirige. Les critiques pointent aussi du doigt ses croyances affichées dans les concepts du « wokisme » et du « grand remplacement », idées controversées et souvent reprises par des groupes réactionnaires.
En effet, sa façon de se rapprocher des figures politiques prônant un nationalisme économique pourrait bien refléter une vision plus égoïste et utilitaire qu’un véritable penchant idéologique. En soutenant des candidats et en se posant en acteur influent du débat public, Musk amplifie les voix de ceux qui souhaitent réduire l’influence des étrangers sur l’économie américaine — une position stratégique pour un homme d’affaires plus qu’une preuve de racisme.
Et Demain ?
Alors, oui, peut-être suis-je trop pessimiste. Peut-être que Musk n’a pas d’autre ambition que d’emmener des humains sur Mars et de nous offrir des voitures silencieuses. Peut-être même qu’il croit sincèrement en ce qu’il fait. Et en effet, son influence pourrait servir des causes plus nobles : il a déjà fait ses preuves en accélérant la transition énergétique avec Tesla, ou en cherchant à démocratiser l’accès à Internet avec Starlink. Ces initiatives, bien qu’elles servent aussi ses intérêts, témoignent de l’impact positif que ses projets peuvent avoir s’ils sont orientés vers des causes d’intérêt général.
Mais l’Histoire nous enseigne la prudence face à ces géants, ces titans de la modernité qui, pour sauver le monde, finissent par le dominer. La démocratie ne se vend pas. Elle ne se négocie pas. Elle est faite pour être partagée, débattue, portée par des voix multiples. L’argent, lui, a un autre langage, un autre dessein.
Demain, si Musk devait franchir ce pas, peut-être serait-il temps pour le peuple de reprendre en main cette démocratie qu’on lui a subtilisée. Peut-être serait-il temps de rappeler que la démocratie n’appartient à personne, pas même aux milliardaires qui prétendent tout acheter. Car après tout, si l’argent est roi, il serait sage de se demander combien de temps il faudra avant que la couronne ne devienne trop lourde, et que le peuple, à bout de patience, la renverse pour de bon.
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