Parler d’une catastrophe aussi dramatique et bouleversante que celle qui frappe le peuple haïtien, évoquer les morts, les blessés, les disparus, toute cette misère, ce n’est pas une affaire de style ni une quête pour décrocher la palme d’or du commentaire le plus émouvant. Ces déluges verbaux ne débouchent souvent sur rien, si ce n’est à satisfaire l’ego de leurs auteurs. Écrire : « Nous sommes tous des Haïtiens », après avoir écrit il y a cinq ans, au lendemain du tsunami : « Nous sommes tous des Taïwanais ou des Sri-Lankais », est un mensonge. – Alain Genestar
La terre a tremblé ce mardi de janvier. Il était quatre heures cinquante-trois minutes dans l’après-midi, et il a suffi d’une vingtaine de secondes pour que tout bascule. Des gens ont péri écrasés autour de nous par des débris de béton. Des plaies ouvertes, des taches de sang, des rues jonchées de gravats, des ponts effondrés et le palais présidentiel en ruines.
J’ai d’abord entendu des grondements, puis des effondrements. J’étais à l’intérieur de la seule maison restée encore debout dans un coin de l’Avenue Poupelard, au bas de Saint-Antoine de Padoue, en plein cœur de la destruction de Port-au-Prince. Une ville que j’ai appris à aimer. Une ville autrefois si belle, qui se tenait fièrement debout. Ce fut la première fois que j’ai entendu la terre crier sous mes pas, tel un coup de tonnerre venant de ses entrailles qui secoua violemment tout, même les plantes. Trois ans après, et nous ne cessons de trembler au rythme de notre existence.
Haïti n’est pas un pays pauvre, c’est plutôt le pays le plus appauvri de l’hémisphère Nord. Au lendemain du douze janvier, l’éditorialiste de Radio France Internationale (RFI), Alain Genestar, a écrit dans son éditorial intitulé « Nous ne sommes pas tous des Haïtiens » : « Dans quelques semaines ou mieux, dans deux ou trois mois, nous serons passés à autre chose, à une autre émotion, une histoire chassant l’autre. Il y aura même des prétendus experts en cause humanitaire, qui nous expliqueront à coup sûr que finalement on en a beaucoup trop fait pour Haïti, qu’il y a trop d’argent et que de toute façon la corruption est telle que les fonds sont détournés… comme si nous, les riches, étions des petits saints, comme si nous n’avions pas exploité et sucé jusqu’à la moelle leurs ressources et asservi tout au long de l’histoire leurs pères et leurs enfants. »
Il continue : « Compte tenu de tout ce que nous savons, de tout ce que nous avons fait, de tout le mal dont nous avons été autrefois les auteurs, puis plus tard les complices, ce n’est pas d’aide charitable, mais d’indemnité et de dédommagement dont ils ont besoin. Non, nous ne sommes pas tous des Haïtiens; nous sommes des Français, des Espagnols, des Américains qui doivent rendre leurs dettes au peuple d’Haïti. » Fin de citation. Il faut dire que le séisme n’a pas été la seule pire catastrophe qu’Haïti ait connue. Le poids de terribles drames la tiraille encore.
Trois longues années d’apparences trompeuses et de faux semblants sous un ciel déchiré de nuages bouillonnants. La conjoncture haïtienne est embrouillée quotidiennement par la connivence des uns et l’incompétence des autres. Les interminables troubles politiques, entremêlés de tensions sociales, ne cessent d’occasionner des répercussions économiques critiques et graves sur le pays. La misère bat son plein, plongeant surtout la masse dans un état d’infortune lamentable, chaotique et révoltant.
Le sinistre tableau de la société haïtienne, Hector Hyppolite et Jean René Gérôme l’auraient peint avec des larmes. Pas un acte concret n’a été posé pour régulariser cette triste réalité, sinon que des palabres à n’en plus finir. Il y a lieu de s’inquiéter et de se poser continuellement des questions quant à l’avenir d’Haïti : des interrogations qui concernent tous les Haïtiens et les Haïtiennes.
Depuis janvier 2010, les fissures sont loin d’être réparées. La terreur des premières secousses est encore là. Mais Haïti, comme toujours, veut rester optimiste envers et contre tout. Car nager dans le pessimisme revient à choisir de ne pas apporter une pierre participative et à adopter une attitude de spectateur passif face à une situation très compliquée.
Trois ans d’un impossible combat, et malgré tout, nous tenons bon. Mais il y a de quoi être sceptique quant à l’avenir, lorsque le présent est si critique. Un lendemain meilleur suppose d’abord des préparatifs de base. Il faut identifier ce qui nous empêche d’avancer. La devise « l’union fait la force » implique aussi de savoir avec qui s’unir pour sortir du bourbier une bonne fois pour toutes.
Thélyson Orélien
Rimouski, 12 janvier 2013