La scène se déroule en Floride, là où le soleil ne se couche jamais sur les ambitions humaines et où les intrigues politiques se jouent parfois sur des terrains inattendus. Donald Trump, l’ancien président des États-Unis, se retrouve, comme souvent, sous les feux des projecteurs. Cette fois-ci, l’affaire qui l’occupe n’est ni une énième controverse politique, ni une enquête financière à propos de ses entreprises. Non, l’affaire en question est beaucoup plus dramatique, presque hollywoodienne : une tentative d’assassinat présumée lors d’une journée banale sur le parcours du Trump International Golf Club à West Palm Beach. Un homme armé, Ryan Routh, a été arrêté alors qu’il se trouvait dangereusement proche de l’ancien président, un événement qui a vite fait les gros titres.
Mais l’ironie, peut-être un peu savoureuse pour certains, est que cette affaire est désormais dirigée par Markenzy Lapointe, le premier Haïtien-Américain à occuper le poste de procureur américain pour le district sud de la Floride. Un homme au parcours impressionnant, mais surtout un immigrant haïtien. Un détail qui prend toute son importance lorsque l’on se remémore les récentes déclarations incendiaires de Trump sur les immigrants haïtiens, notamment à Springfield, Ohio, où il a amplifié des rumeurs farfelues selon lesquelles les Haïtiens s’adonneraient à des pratiques cannibales sur les animaux domestiques. Les répercussions ont été immédiates : menaces à la bombe, évacuations d’écoles, un climat de tension palpable. Et maintenant, un Haïtien est à la tête de l’enquête concernant sa sécurité.
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Cette histoire prend des allures presque mythiques. On pourrait y voir un clin d’œil de l’histoire, voire une ironie piquante du destin. Qui aurait cru que ce fils d’Haïti, Markenzy Lapointe, aujourd’hui procureur, jouerait un rôle central dans l’affaire impliquant celui qui, à maintes reprises, a publiquement vilipendé les immigrants haïtiens ?
De Port-au-Prince aux bureaux du procureur
L’histoire de Lapointe est l’une de ces épopées modernes qui illustrent parfaitement le rêve américain. Né à Port-au-Prince, au sein d’une famille modeste — sa mère vendait des produits dans la rue, son père était tailleur — il a émigré à Miami à l’âge de 16 ans. À l’époque, la communauté haïtienne de Miami n’était pas encore pleinement établie, et les tensions raciales étaient vives. Mais comme beaucoup d’autres immigrants avant lui, Lapointe a embrassé l’adversité, s’est battu pour sa place, et, comme le veut l’expression américaine, a « fait son chemin ».
Il a enchaîné les petits boulots pour subvenir aux besoins de sa famille, notamment en tant que chauffeur de taxi et barman. Ce n’est qu’après avoir intégré les Marines et servi pendant la guerre du Golfe qu’il a décidé de reprendre ses études. Sa carrière juridique l’a finalement mené à devenir procureur américain pour le sud de la Floride. Et aujourd’hui, cet homme qui représente à la fois la rigueur américaine et la résilience haïtienne se retrouve face à l’une des affaires les plus médiatisées de sa carrière.
Leçons d’une ironie du destin
Lorsque Donald Trump prononça ces mots à Springfield, insinuant que des Haïtiens étaient coupables des pires actes imaginables, il ne se doutait certainement pas qu’un Haïtien deviendrait bientôt un personnage central dans une affaire qui touche de près à sa propre sécurité. Cette juxtaposition entre les propos incendiaires de Trump et l’ascension exemplaire de Markenzy Lapointe montre à quel point les perceptions peuvent être déformées, et combien la réalité peut rapidement nous rattraper.
Le parcours de Lapointe, de Port-au-Prince aux tribunaux américains, est une leçon vivante contre les stéréotypes. Combien de fois avons-nous entendu ces histoires d’immigrants, fuyant la pauvreté, les troubles politiques, pour venir construire quelque chose de meilleur dans un pays où, pourtant, ils sont souvent regardés avec méfiance ?
Lapointe, tout comme des figures haïtiennes telles que Patrick Gaspard, ancien ambassadeur américain en Afrique du Sud, dirigeant et stratège réputé du Parti démocrate, ou Claudine Gay, première personne noire et deuxième femme à diriger l’Université de Harvard, a su s’imposer dans un monde où les préjugés sont souvent tenaces. Mais son succès ne réside pas seulement dans l’excellence de sa carrière. Il symbolise également la force de caractère que l’on associe souvent à cette diaspora haïtienne résiliente et déterminée.
Le poids des mots
Si l’histoire de Lapointe est celle d’un homme qui s’est élevé par le mérite, elle est aussi un témoignage du pouvoir des mots. Les déclarations de Trump, relayées et amplifiées par certains médias, ont déclenché des événements graves à Springfield, en Ohio. Des menaces de bombe, des écoles évacuées, une panique collective causée par des rumeurs sans fondement. Tout cela démontre à quel point les paroles d’une personnalité publique peuvent avoir des répercussions réelles, et dangereuses.
En amplifiant de telles rumeurs, Trump a non seulement renforcé la xénophobie, mais il a aussi détourné l’attention de problèmes plus pressants. Pendant ce temps, des hommes comme Lapointe, issus de ces mêmes communautés que Trump attaque, continuent de travailler dans l’ombre pour défendre la justice, prouver leur valeur et, ironiquement, protéger la sécurité de celui qui les vilipende.
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La morale de l’histoire
L’histoire de Lapointe n’est pas unique, bien qu’elle soit particulièrement symbolique. D’autres Haïtiens-Américains ont, au fil des ans, marqué les États-Unis de leur empreinte. Jean Monestime, premier Haïtien élu à la Commission du comté de Miami-Dade, ou encore Mia Love, première femme noire républicaine élue au Congrès américain, sont des exemples brillants de cette diaspora qui s’est imposée dans des domaines variés, de la politique à la culture, à la science et bien plus encore. On pourrait également citer Dean P. Baquet, lauréat du prix Pulitzer et ancien rédacteur en chef du New York Times, qui a grandi à La Nouvelle-Orléans, où sa famille tenait un restaurant créole ; Gerard A. Alphonse, docteur électrophysicien et chercheur scientifique, président en 2005 de la division américaine de l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE) ; Roxane Gay ou Edwidge Danticat, des écrivaines renommées qui ont marqué le paysage littéraire avec leurs récits de la diaspora haïtienne.
Ces hommes et femmes, loin des projecteurs de la controverse, travaillent à construire des ponts entre les cultures, à promouvoir l’idée que l’Amérique est une terre de diversité, une terre d’opportunités pour ceux qui sont prêts à relever le défi. Et à travers ces figures emblématiques, c’est tout un peuple qui se bat pour faire entendre sa voix, pour prouver que l’on ne peut être défini ni par ses origines, ni par les préjugés.
Dans cette affaire où l’ironie semble régner en maître, il y a une leçon plus profonde à tirer. Au-delà des querelles politiques, des déclarations incendiaires et des rumeurs sans fondement, il reste l’histoire humaine. Markenzy Lapointe est le reflet de millions d’immigrants à travers le monde, venus chercher une vie meilleure, prêts à tout sacrifier pour une chance de réussir.
Si les mots peuvent diviser, les actions de ceux qui, comme Lapointe, œuvrent pour la justice et l’égalité rappellent que l’histoire se joue aussi, et surtout, dans les petites victoires quotidiennes. L’ironie est que ceux qui sont souvent les plus méprisés sont parfois ceux qui, dans l’ombre, protègent et servent ceux qui les attaquent.
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