Les puissants d’Haïti, entre les mains des gangs et de la corruption, ont longtemps régné sans encombre. Leur influence, leur richesse et leur impunité semblent inébranlables. Pourtant, à chaque nouveau scandale, des voix s’élèvent. Le temps est venu de les forcer à rendre ce qu’ils ont pris, non pas par les mots mais par des actes qui feront bouger les lignes de l’Histoire.
Le 17 juillet 2025, le nom de Reginald Boulos a éclaté en une onde de choc en Haïti et au-delà. Cet homme d’affaires, parmi les plus influents du pays, a été arrêté pour son implication présumée dans le financement des gangs et la déstabilisation de l’île. Un symbole de la collusion entre les puissants du pays et l’ignominie des gangs armés. Pourtant, il n’est qu’un maillon parmi d’autres dans ce jeu de poker menteur où l’impunité se gère dans les salons climatisés, bien loin des souffrances de la rue.
Ce n’est pas une surprise, cependant. Depuis 2022, les sanctions internationales se sont enchaînées contre les parrains des gangs, notamment par les États-Unis et le Canada. Mais, derrière cette façade de sanctions, où en est-on véritablement ? Quels effets ont eu ces décisions sur le terrain où les enfants et adultes sont kidnappés, les maisons brûlées et les vies broyées ? Si l’on y réfléchit bien, la réponse est simple : aucune. Rien n’a changé de manière tangible. Bien sûr, les portraits des coupables figurent dans les communiqués officiels et les régimes de sanctions ont créé des ondes de choc diplomatiques, mais pour la population, ce ne sont que des mots, des gestes politiciens dont l’impact reste limité à l’arène internationale.
Le véritable crime réside dans le fait qu’aucune mesure concrète n’est prise pour réparer les ravages provoqués par ces individus. Ces parrains du chaos haïtien ne se contentent pas d’infliger des souffrances, ils en récoltent les fruits dans des paradis fiscaux, des propriétés de luxe et des comptes bancaires garnis dans le pays et des millions de dollars américains à l’étranger. Pourquoi, donc, ne pas utiliser leur fortune pour financer la reconstruction d’un pays détruit par leurs agissements ?
Il est grand temps de prendre des mesures qui fassent réellement justice. Si les sanctions sont incapables de produire un changement visible, pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas saisir les biens de ces individus pour indemniser les victimes de violences, les familles des kidnappés, et celles qui ont perdu leur maison dans cette guerre civile de gangsters ? L’idée paraît audacieuse, mais n’est-ce pas là une réponse juste face à un système où l’impunité, l’enrichissement malhonnête et la souffrance collective cohabitent dans un même espace ?
Un principe simple : qui détruit, doit réparer
Prenons l’exemple des sanctions canadiennes, que la ministre Mélanie Joly a élargies le 21 septembre 2023. En frappant des noms comme Carl Braun, – l’homme le plus puissant du système financier haïtien, dirigeant et fondateur de la plus grande banque du pays, la Unibank –, Jean-Marie Vorbe de la Société Générale d’Énergie (SOGENER), et Marc Antoine Acra des Industries Acra, le Canada a porté un coup aux finances de ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à l’effondrement du pays.
Mais, soyons honnêtes, que reste-t-il de tout cela ? Quelques dizaines de comptes bancaires gelés, quelques biens confisqués, et des sourires en coin dans des suites d’hôtels cinq étoiles, à l’abri de la justice haïtienne.
Mais qu’en est-il des victimes ? Leurs maisons sont réduites en cendres, leurs enfants ont disparu dans des camionnettes et, pourtant, les véritables responsables continuent de faire fortune. Ce n’est qu’un constat d’échec de la part des pouvoirs internationaux.
La question n’est plus de savoir s’ils méritent une sanction ; la question est plutôt : comment faire en sorte que ce soit leur richesse qui soit utilisée pour réparer ce qu’ils ont dévasté ?
Les ex-présidents, les anciens parlementaires, les oligarques et leurs complices ont accumulé des biens considérables en Haïti comme à l’étranger. Mais derrière ces villas, ces fermes et ces comptes offshore, il y a des Haïtiens qui pleurent chaque jour.
Ce n’est pas dans des rapports diplomatiques ou des comptes rendus du G7 que les Haïtiens trouveront leur salut. Il faut se rendre à l’évidence : la solution n’est pas de compter sur des réformes lentes et des régulations internationales qui ne font que maintenir l’ordre du jeu tel quel.
Récupérer et redistribuer : un impératif moral
Exproprier ces figures du crime organisé financier haïtien, saisir leurs biens et les redistribuer à ceux qu’ils ont blessés est plus qu’une question de justice : c’est un impératif moral. Si un individu porte une responsabilité aussi grave dans la souffrance collective, il doit la réparer.
En quoi saisir les biens des coupables pour financer la réparation des victimes serait-il plus immoral que de laisser leurs comptes alimenter les chaînes de corruption, les gangs et les circuits financiers des grandes puissances ? Au contraire, il s’agirait là d’un acte de purification : tourner la page de cette tragédie qui perdure depuis trop d’années.
De plus, la communauté internationale, tout comme l’État haïtien, ne peut plus se permettre de se cacher derrière l’argument du « manque de preuves » ou des « difficultés juridiques ». Si la justice ne peut pas attraper ces criminels, ce n’est pas une raison pour laisser leurs fortunes croître et prospérer.
Pourquoi les politiciens corrompus devraient-ils conserver leurs biens alors que des familles entières ont tout perdu ? Ce n’est pas là un détail dans une grande affaire diplomatique : c’est une question de dignité pour un peuple qui souffre sous la domination de ceux qui ont toujours pris les biens des plus vulnérables.
Leur confiscation et leur réaffectation à des fins de dédommagement seraient une première étape décisive pour créer un précédent qui enverrait un message clair : ceux qui ont pillé le pays devront en répondre de manière tangible, au-delà des sanctions symboliques.
Ce serait également un signe fort envoyé aux jeunes qui, aujourd’hui, sont tentés de rejoindre les rangs des gangs ou de suivre les pas de leurs aînés dans le monde des affaires corrompues.
L’ironie d’une démocratie post-dictatoriale
L’ironie de cette situation est poignante : Haïti, un pays qui s’est battu pour sa liberté, est aujourd’hui aux prises avec un groupe d’élites qui se croient au-dessus des lois. L’État haïtien lui-même, incapable de mener cette lutte en raison de l’effritement de ses institutions, doit se tourner vers la communauté internationale pour exercer une pression réelle et effective. Or, tout comme un voleur doit rendre ce qu’il a pris, les responsables de la misère haïtienne doivent réparer le mal qu’ils ont causé. En ce sens, la confiscation de leurs biens et leur réaffectation au bien-être des victimes est non seulement légitime mais nécessaire.
Le temps des discours, des sanctions sans effets, des discussions diplomatiques stériles doit cesser. Haïti ne peut plus attendre que les grandes puissances imposent des sanctions sans conséquences. Ce qu’il faut, ce sont des actions concrètes, immédiates et réparatrices. Si les puissants ont les moyens d’enrichir leur empire au détriment de millions de vies, il est grand temps qu’ils soient contraints d’en reverser une partie pour réparer les injustices qu’ils ont créées. Haïti mérite plus que de simples gestes symboliques ; il mérite justice.
Ces hommes, notamment Réginald Boulos, à la tête d’un empire financier et accusé d’avoir contribué à la déstabilisation d’Haïti par son soutien aux gangs armés, ne sont pas seulement des criminels modernes. Ils sont les héritiers des tyrans de l’histoire, des rapaces qui ont su tirer profit de la misère des peuples pour nourrir leurs propres ambitions. À l’instar des riches marchands d’esclaves qui faisaient fortune sur les souffrances humaines, ou des seigneurs féodaux qui exploitaient la terre et ses habitants pour asseoir leur pouvoir, ces nouveaux barons du chaos haïtien se sont nourris de la douleur de la nation. Et tout comme ces tyrans d’autrefois, leur empire se bâtit sur le vol, l’oppression et la destruction des vies innocentes.
Mais l’histoire, à chaque époque, finit toujours par rattraper les coupables. Ces figures de l’ombre, ces architectes de la souffrance, qui se croient intouchables derrière leurs montres en or et leurs comptes offshore, oublient une chose : ceux qui volent le peuple, un jour ou l’autre, verront leur fortune envolée, et le vent de la révolte soufflera sur leurs palais de sable.