Ce dimanche-là, en me rendant au supermarché, j’ai croisé une vieille dame haïtienne que je connais depuis mon arrivée à Montréal. Elle me reconnaît à peine tant ses yeux sont gonflés d’angoisse.
Je lui demande si tout va bien. Elle me dit : « Bondye ap fè m pase nan desè a pou m ka temwaye pi devan. » Traduction libre : Dieu l’a envoyée en enfer pour qu’elle puisse revenir nous le raconter. Je hausse un sourcil, puis l’autre, et je comprends rapidement qu’elle vient tout simplement de verser sa dîme — encore — alors qu’elle n’a même plus les moyens de payer la portion des médicaments non couverte par la RAMQ, ni les frais liés à ses déplacements pour se rendre à ses rendez-vous médicaux. Entre la contribution santé exigée à la pharmacie, les médicaments non remboursés, et l’abonnement de la STM expiré, elle se soigne maintenant par la foi… et marche à pied avec espérance.
L’industrie du miracle instantané
À une époque où un litre de lait coûte plus cher qu’un mensonge politique, il subsiste une industrie florissante qui ne connaît ni inflation, ni audits : le business des pasteurs de la diaspora. Le pasteur Firmin, condamné pour fraude【source : Radio-Canada】, ou encore le célèbre Mukendi, qui a transformé son ministère en machine fiscale clandestine à Québec — aujourd’hui fugitif en cavale, condamné pour viol, voies de fait graves et incitation à la haine — ne sont pas des exceptions mais des prototypes.
La recette est simple : prendre une communauté vulnérable, marquée par l’exil, les papiers d’immigration, les boulots éreintants, le loyer exorbitant et les rêves de miracle. Ajouter un micro, une Bible (version remaniée), une carte de débit et un point de transfert Western Union, un compte Zelle ou Cash App, un lien PayPal, le virement Interac et, pour les plus traditionnels, une enveloppe bien garnie en cash. Mélanger avec quelques versets sortis du contexte. Vous obtenez un empire spirituel déguisé en “ministère prophétique”.
À Montréal-Nord, Revenu Québec a mis la main sur un autre “serviteur de Dieu” qui ne rendait pas à César ce qui lui revenait【source : TVA Nouvelles】. Apparemment, même l’Esprit Saint n’a pas trouvé de déduction fiscale pour justifier ses revenus.
Nos parents, premières victimes consentantes
Nos parents ont fui la dictature, la misère, les tremblements de terre et parfois même eux-mêmes. Mais une chose est restée : cette foi inébranlable en un Dieu qui punit les doutes par la pauvreté éternelle. Alors ils sont entrés dans les églises, souvent installées dans des anciens dépanneurs, des anciens entrepôts ou des garages mal aérés, persuadés qu’“ici, Dieu va finir le travail qu’il a commencé à Jérusalem.”
C’est là que le pasteur les attendait.
Il s’appelait Prophète Daniel, ou Apôtre Jean-de-Dieu, ou encore Bishop de Feu. Il promettait la délivrance contre une offrande « prophétique » de 2000 $, payable par tranches. Nos mères y croyaient. Nos oncles y croyaient. Et même nos tantes, qui ne croient pas aux vaccins mais croient que leur voisin est un sorcier envoyé par la belle-mère, y croyaient.
Une dame de Laval me racontait récemment qu’elle donne 10 % de son salaire à son église chaque mois. Dix pour cent. Pendant qu’elle vit dans un 3 ½ infesté de coquerelles et que ses enfants mangent du pain tranché sec avec du beurre d’arachide, faute de mieux. « C’est pour Dieu, » me dit-elle. Mais quel Dieu se nourrit de vos chèques de paie ? Et cela, après les impôts, les taxes de vente, les déductions à la source, les cotisations à l’assurance emploi et au régime de pensions — toutes sommes déjà versées à l’État, qui au moins offre des services publics en retour.
On donne à Dieu comme si Dieu avait un compte bancaire à la Banque Royale du Canada. On donne à Dieu mais Dieu, apparemment, refuse les paiements directs. Il faut passer par un certain “révérend” avec une montre à 4000 $ et une femme pasteure qui vous vend du Jus de Jéricho en bouteille recyclée.
Mais attention, l’offrande de Salomon de 1000 $, c’est une offrande d’honneur, pas une arnaque. Nuance.
Témoignage d’une grande comédie céleste
Je connais personnellement une dame qui, par curiosité (et probablement par besoin d’espoir), a contacté un pasteur africain basé en Belgique. Le type est une star sur YouTube. Un “faiseur de miracles”, autoproclamé.
Il lui a expliqué qu’elle devait acheter une huile sainte spéciale, bénite par ses soins, pour guérir de ses maux. Et comme Jésus n’a pas ouvert de boutique en ligne, c’est lui qui assure la logistique… pour une somme “symbolique” de 450 euros.
La dame, dans un élan de lucidité, lui rétorque : « Jésus aurait fait ça gratuitement. » Il lui raccroche au nez. Fin du miracle.
Et pendant ce temps, Dieu regarde. Silencieux. Immobile. Inexistant ? Peu importe, car on ne lui demande pas vraiment son avis. Il est devenu une franchise. Une marque. Un slogan.
« Donne à Dieu et il te bénira au centuple », disent-ils. Mais on dirait que ce centuple arrive toujours dans la poche du pasteur. Pendant que les fidèles, eux, font la queue chez Moisson Montréal, Centraide ou aux cuisines collectives pour survivre jusqu’à la prochaine bénédiction.
Même l’Église catholique, pourtant championne historique de la culpabilisation lucrative, regarde ces pasteurs néo-évangéliques avec une certaine jalousie : « Comment font-ils pour escroquer avec aussi peu de latin ? »
Le Canada et son silence
Mais que fait le gouvernement dans tout cela ?
Rien.
Parce que ça se cache derrière la liberté religieuse. Parce que personne n’ose mettre son nez dans “les choses de Dieu”. Pourtant, ces organisations sont exemptées d’impôts, alors qu’elles brassent des dizaines de milliers de dollars chaque mois. Ce sont des PME maquillées en temples de prière.
Et leur vitrine préférée, c’est désormais les réseaux sociaux. TikTok, YouTube, Instagram, Facebook — chaque « homme de Dieu » a sa plateforme, son montage vidéo, ses promesses de miracles, ses lives de délivrance en direct, et son lien vers PayPal dans la bio. Ils prêchent entre deux filtres beauté, pleurent devant la caméra, puis rient jusqu’à la banque. Le feed devient sacré, et les likes font office d’amens.
Certes, il y a eu des condamnations. Comme ce pasteur condamné à 30 mois de prison pour fraude【source : La Presse】. Mais ce ne sont que quelques gouttes dans l’océan de l’exploitation spirituelle. Le reste continue, nuit et jour, avec la complicité silencieuse d’un système qui préfère ne pas froisser les croyants.
La question est la suivante : allons-nous, nous aussi, tomber dans le piège ?
Allons-nous verser 10 % de nos revenus à des hommes qui se disent choisis par Dieu, pendant que nos enfants ne peuvent pas aller au camp de jour parce que c’est trop cher ? Allons-nous continuer à fermer les yeux parce que “on ne parle pas mal des hommes de Dieu” ?
Ou allons-nous, enfin, dire à voix haute ce que tout le monde chuchote : que ces pasteurs sont, pour la plupart, des influenceurs religieux avec un code vestimentaire douteux et un sens aigu du profit ?
À force de lire la Bible à l’envers, on a fini par croire que Dieu avait besoin d’un gestionnaire de compte. On lui envoie notre salaire, nos économies, nos espoirs. Et on attend, comme des actionnaires floués, que le miracle arrive. Spoiler : il n’arrive jamais.
La foi est une chose magnifique. Elle peut élever l’âme, apaiser le cœur. Mais quand elle devient un business, elle ne fait qu’engraisser les escrocs au nom du Très-Haut. Et pendant ce temps, Dieu, lui, continue d’observer… depuis un paradis fiscal.
Post-scriptum :
Et si un jour vous croisez un pasteur qui vous promet la richesse contre une offrande, répondez-lui poliment : « Jésus a multiplié les pains, pas les factures. » Puis passez votre chemin… avec votre dîme dans la poche et votre dignité intacte.