Madame Emmelie Prophète,
À la fois Ministre de la Justice et de la Sécurité publique, ainsi que Ministre de la Culture et de la Communication en Haïti,
Par un coup du sort qui semble sortir tout droit d’une de vos intrigues littéraires, vous vous retrouvez à la tête de ministères aussi variés : Justice et Sécurité publique, Culture et Communication. Dans cette danse du pouvoir, où les pas semblent plus improvisés qu’une scène de comédie, vous, l’écrivaine, vous êtes muée en une sorte de super-ministre, une protagoniste principale dans le drame haïtien. Mais, hélas, votre rôle semble aussi clair que le scénario d’un film d’avant-garde.
Votre nom, Prophète, aurait pu laisser présager une visionnaire, une guide à travers les tourments de notre nation. Pourtant, vous voilà engloutie dans les marécages d’un présent chaotique, luttant pour garder la tête hors de l’eau dans un océan de crises. On pourrait presque imaginer le thème de votre prochain roman, « L’Inaction », reflétant avec une précision chirurgicale votre parcours politique.
Dans une Haïti où les gangs armés démontrent plus de stratégie et de prévoyance que le gouvernement lui-même, vous, notre ministre de la Sécurité publique, semblez perdre votre voix, éclipsée par les aveux d’impuissance et l’écho assourdissant de l’insécurité. Une bande-son tragique pour une nation assoiffée de réponses, de leadership.
Pendant ce temps, Ariel Henry, tel un capitaine sur un navire en perdition, s’accroche désespérément au gouvernail, naviguant à travers les tempêtes politiques et les murmures de conspirations entourant l’assassinat d’un Président qui l’a nommé. Un Président dont le mandat avait été contesté par beaucoup pour avoir dépassé les limites constitutionnelles, mais qui l’a nommé pour un mandat sans fin, ce qui semble étonnamment ne pas susciter autant de préoccupations. Et vous, Madame Prophète, êtes comme une passagère égarée, cherchant son chemin dans un labyrinthe, où les murs sont faits de promesses non tenues et de rêves brisés.
Quant à la solution prônée d’une intervention internationale, n’est-ce pas là une idée digne d’un roman dystopique ? Un scénario où des héros étrangers viennent sauver un pays en ruine, un cliché éculé qui ne trouve d’écho que dans les pages usées de fictions désuètes. Les Haïtiens, las de ces rengaines répétitives, aspirent à être les auteurs de leur propre histoire, loin des fantasmes de sauveurs venus d’ailleurs.
Haïti se trouve à un carrefour crucial, et vous, en tant que figure de ce gouvernement, devez choisir votre voie. Allez-vous rester un personnage secondaire dans une tragédie annoncée, ou allez-vous prendre la plume pour écrire un nouveau chapitre, un chapitre où justice et sécurité ne seraient plus de vains mots, mais une réalité tangible ?
Nous, spectateurs de cette tragédie, attendons avec une inquiétude mêlée d’espoir le prochain acte de cette pièce shakespearienne, priant pour que son dénouement ne soit pas une farce tragique, mais bien un récit de renaissance, un phénix renaissant de ses cendres.
Chère Emmelie Prophète, à travers vos écrits, vous avez jonglé avec les mots et les mondes, suscitant l’admiration, y compris la mienne. Mais aujourd’hui, c’est le destin d’un pays qui pèse dans la balance. Vous voici à un carrefour décisif où chaque choix peut sculpter l’avenir de notre nation. Dans ce théâtre de l’absurde qu’est devenue la politique haïtienne, votre rôle est plus crucial que jamais. Resterez-vous l’artisane d’un changement véritable ou la gardienne d’un statu quo défaillant ?
Nous en appelons donc à votre conscience, à ce devoir qui incombe à tout intellectuel, et en particulier à l’écrivaine que vous êtes : celui d’élever la voix, de forger les mots en armes tranchantes contre l’apathie et l’oppression. Vous avez rendez-vous avec l’histoire, Madame Prophète, un rendez-vous qui ne souffre aucune tardiveté, aucune absence.
L’histoire vous regarde, avec les yeux scrutateurs de Jean Price-Mars, d’Anténor Firmin, de Jacques Roumain, de Jacques Stéphen Alexis ou de Leslie François Saint Roc Manigat… Ces géants intellectuels qui ont su, en leur temps, se dresser contre les marées de l’adversité pour écrire des pages indélébiles de notre histoire. Leur héritage n’est-il pas une boussole pour votre action ? Votre silence ou votre action, quel que soit votre choix, sera votre héritage, la trace indélébile que vous laissez dans le sable mouvant de notre histoire tumultueuse.
Il est tristement ironique de vous voir, une figure de proue de la littérature haïtienne, et vos délégués, naviguer vers des négociations d’occupation en terres lointaines, comme si vous étiez une ambassadrice de notre soumission plutôt que de notre résilience. Emmelie Prophète, comment pouvez-vous porter en vous ce nom, lourd de sens et d’histoire, et assister, peut-être même participer, à l’orchestration de notre dépendance ? Envoyer une délégation au Kenya pour négocier la venue de forces Kenyans en Haïti pour rétablir l’ordre, loin de symboliser une démarche diplomatique, ressemble davantage à une quête désespérée pour légitimer l’inacceptable, pour parer l’occupation d’un voile de nécessité.
Certes, notre nation fait face à des défis incommensurables. Les gangs armés, les attaques continues comme celles sur Carrefour-Feuille, Matissant, Mariannie… la violence qui déchire nos rues et nos maisons, sont le pain amer de notre quotidien. Mais la solution ne réside pas dans l’appel à une occupation étrangère, dans cette capitulation honteuse devant l’adversité. La Police Nationale et l’armée, ces enfants du pays, ces gardiens de notre souveraineté, pourraient être la réponse, s’ils étaient correctement soutenus, équipés, et motivés. Leur potentiel est étouffé par la négligence, par une sorte de trahison insidieuse qui voit dans l’incapacité un alibi pour l’intervention étrangère.
Le gouvernement de facto, sous votre supervision, continue de montrer une indifférence glaciale face aux souffrances de nos compatriotes. Comment, Madame Prophète, pouvez-vous le tolérer ? Comment pouvez-vous laisser votre nom, qui pourrait être synonyme de prévoyance et d’élévation, être associé à cela ?
Et que dire de cette complicité tacite avec les gangs, cette danse macabre où votre gouvernement semble tourner en rond avec les forces les plus obscures de notre société ? Les accusations contre certains membres du gouvernement, l’armement et le financement des gangs, les liens troubles… tout cela dessine un tableau où la corruption et l’immoralité semblent être les maîtres de ballet. Où est votre voix, Madame Prophète ? Où est cette plume acérée qui pourrait trancher dans cette trame ténébreuse ?
Haïti mérite mieux. Haïti mérite des leaders qui se tiennent debout, des intellectuels qui ne se contentent pas de contempler la tempête, mais qui l’affrontent avec courage et détermination. Vous, Madame Prophète, avez une opportunité, peut-être unique, de changer le cours de notre histoire, de vous élever au-dessus des écueils, de transformer vos ministères en phares d’espoir.
L’heure est venue de choisir. Voulez-vous être celle qui, par son silence et son inaction, aura permis la continuation de notre descente aux enfers ? Ou serez-vous celle qui, avec audace et vision, aura contribué à redresser le cap, à insuffler un nouvel esprit dans les voiles de notre nation ? La décision vous appartient, mais souvenez-vous, l’histoire est une juge impitoyable et sa plume ne pardonne pas.
Une question se pose, Madame Prophète : que restera-t-il de votre héritage ? Serez-vous celle qui a regardé Haïti se décomposer davantage ou celle qui a ravivé la flamme de notre dignité ? Votre rendez-vous avec l’histoire n’est pas seulement un chapitre de votre vie, mais un tournant pour notre nation. Il s’agit de décider si ce chapitre se clôturera sur des notes de désespoir ou s’il ouvrira la voie à un avenir réimaginé.
L’histoire d’Haïti est parsemée de luttes, de résistance, de douleur mais aussi d’une résilience incommensurable. Chaque page témoigne de la force d’un peuple qui refuse de se soumettre, qui se bat avec l’ardeur de ceux qui ont tout à gagner, car ils ont tout perdu. Dans ce contexte, votre rôle ne peut se limiter à celui d’observatrice ou de simple narratrice. Vous avez la capacité, et donc la responsabilité, de forger l’avenir, de diriger le changement, de redéfinir ce que signifie être au service de son pays.
Le passé ne peut être réécrit, mais l’avenir reste un livre ouvert. Haïti ne demande pas des miracles, mais un engagement véritable, une volonté de briser les chaînes de l’indifférence et de l’incompétence. Il est impératif que les dirigeants, les intellectuels, et le peuple lui-même, s’unissent pour écrire une nouvelle histoire, une où la peur et la soumission laissent place à l’audace et à la souveraineté.
Madame Prophète, il n’est jamais trop tard pour changer de cap, pour prouver que votre nom n’est pas une ironie mais une prophétie de ce que vous pouvez accomplir. L’histoire se souviendra des actes, pas des titres. Elle jugera la substance, pas les apparences. Vous avez le potentiel pour être plus qu’une ministre, plus qu’une écrivaine. Vous pouvez être une force de transformation, un symbole de résilience et d’espoir.
En tant qu’Haïtien, je vous implore de saisir cette occasion, de ne pas laisser passer ce moment crucial. Nous avons soif de leadership, de vision, d’action. La politique peut être un théâtre d’absurdités, mais elle peut également être une arène de changement véritable et durable. Soyez l’architecte de ce changement, le phare dans cette tempête. Ne laissez pas les ombres de la complaisance éclipser la lumière de votre potentiel.
Le temps presse, et avec chaque jour qui passe, notre désespoir grandit. Mais il en va de même pour notre espoir, un espoir que vous pourriez incarner. Ne soyez pas une note en bas de page de notre histoire. Soyez le titre d’un chapitre lumineux, un chapitre de renaissance, de renouveau, et de rédemption.
Avec les regards d’une nation tournés vers vous, avec l’espoir et la détermination qui caractérisent notre peuple, j’attends, nous attendons, de voir quel sera votre choix. Serez-vous celle qui a regardé Haïti sombrer ou celle qui a tendu la main pour la relever ?
Avec une attente fervente et une foi inébranlable en l’avenir de notre nation, je vous exhorte, Madame Prophète, à saisir ce moment historique. Laissez derrière vous les hésitations, les demi-mesures, les excuses éculées des « territoires perdues », et embrassez pleinement le rôle de catalyseur du changement que l’histoire vous offre. Soyez la ministre qui, par ses actions, ses choix, et sa vision, a revitalisé l’espoir dans les cœurs de millions d’Haïtiens.
Permettez-moi, Madame Prophète, de préciser que je préfère m’adresser à l’écrivaine en vous, plutôt qu’à la femme de pouvoir ou à la ministre aux multiples casquettes. Je suis conscient des missions et des luttes qui incombent aux écrivains dans tout pays digne de ce nom, surtout lorsque ce pays souffre. C’est en tant qu’écrivaine, porteuse de la plume qui peut déclencher des révolutions et guider des nations, que je choisis de vous adresser cette lettre. L’écrivaine en vous possède le pouvoir de transformer les mots en actions, les histoires en réalités, et je crois en la puissance de ce pouvoir.
Il est temps de mettre en pratique les idéaux que vous avez si souvent explorés dans vos écrits. Il est temps de démontrer que l’intellect et la passion, combinés avec le pouvoir, peuvent réellement transformer une société. Que votre mandat ne soit pas simplement une période de transition, mais un moment déterminant, un éveil pour notre nation.
Que vos décisions futures reflètent la grandeur, la résilience et la dignité de notre peuple. Que votre nom, Prophète, devienne synonyme d’espoir, de courage et d’intégrité. Ne laissez pas cette page de l’histoire se ternir par des regrets et des « si seulement ». Au lieu de cela, remplissez-la d’actions audacieuses, de progrès tangibles et de récits de rédemption.
Dans l’attente d’une ère nouvelle, sous votre égide, que vos prochaines actions soient couronnées de succès et que votre parcours inspire les générations futures à poursuivre le combat pour une Haïti souveraine, juste et prospère.
Dans l’attente de jours meilleurs et avec l’espoir d’un avenir radieux, permettez-moi de vous dire, Madame Prophète, que l’heure n’est plus à la réflexion mais à l’action. Haïti ne demande pas un murmure mais un cri de guerre contre l’adversité, un cri qui résonnera à travers montagnes et vallées, annonçant l’avènement d’un renouveau. Vous avez en main non seulement un stylo mais le destin d’une nation. Faites-en usage avec la force et la détermination que requiert ce moment historique.
Laissez votre nom, Emmelie Prophète, être inscrit en lettres d’or dans les annales de notre pays, non pas comme un symbole de ce qui aurait pu être, mais comme le phare de ce qui a été accompli. Que votre passage laisse une empreinte indélébile de courage, d’intégrité et d’amour pour Haïti.
L’amour du pouvoir, souvent masque tragique de l’impuissance, consume ceux qui s’y accrochent, égarés dans le labyrinthe de ses illusions éphémères.
L’histoire et le peuple scrutent votre chemin. Soyez celle qui, face à l’occupation et à la désolation, choisit de s’élever, de combattre et de triompher. Haïti vous appelle. Faites écho à cet appel avec la bravoure et la perspicacité héritées de vos aïeux.
Nous attendons, animés d’une espérance fervente et d’une foi inébranlable en l’avenir de notre nation, que votre écho soit celui de la résolution et de la renaissance.
Cependant, si vous vous sentez accablée par l’ampleur de ces défis, impuissante face à ces enjeux,
Pour Haïti, et pour l’Histoire,
Optez pour la dignité du retrait.
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Thélyson Orélien
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