Et si on parlait d’amour…
Si la nouvelle génération à laquelle nous appartenons se lance avec enthousiasme dans des expériences nouvelles, l’ancienne, elle, semble s’accrocher de plus en plus aux formes du passé. On peut avancer, à coup sûr, que la majorité des gens refusera de jeter par-dessus bord la notion conventionnelle de l’amour ou la structure familiale traditionnelle. Des gens continueront sans aucun doute à chercher le bonheur au sein des schémas orthodoxes. Et pourtant, eux aussi finiront par être acculés à des innovations, car les chances de succès de la voie habituelle seront minces.
La norme que la nouvelle génération réfute en partie veut que deux jeunes gens se rencontrent et se marient. Elle veut aussi qu’ils soient de sexes différents, et cela implique que chacun satisfait certains besoins psychologiques de l’autre et que leurs deux personnalités évoluent plus ou moins parallèlement au fil des ans, si bien qu’ils puissent continuer à se servir mutuellement de soutien. Cela suppose en outre que le processus ne s’interrompe que lorsque la mort les séparera. Peu importe la situation, on s’en fout, parce que c’est ce que demande la maudite norme autoritaire et rétrograde.
Ces idées sont ancrées profondément dans notre culture, à tel point qu’il n’est plus convenable, contrairement à ce qui se passait jadis, de se marier pour tout autre motif que l’amour. Celui-ci, qui était autrefois un souci marginal pour la famille, en est devenu la raison d’être. En fait, la poursuite de l’amour dans la vie familiale a été érigée par beaucoup de gens en idéal de vie.
L’amour, toutefois, s’il existe bien entendu, se définit par rapport à cette notion d’évolution parallèle. On voit en lui un tissu merveilleux de besoins complémentaires, d’échanges réciproques, qui fait s’épanouir les amoureux et les remplit d’une douce sensation de tendresse, d’intimité et de dévouement.
Des partenaires d’un couple réussi, on dit qu’ils vont la main dans la main. Cette théorie de l’amour comme évolution parallèle est cautionnée par des conseillers conjugaux. Des spécialistes de l’amour ? Certains ont déclaré que la qualité du rapport entre deux conjoints correspond à la profondeur de leur accord au cours des différents stades de leur évolution personnelle. Deux “cons-joints” ?
Pourquoi l’amour doit-il réussir à tout prix ? Ne suffit-il pas qu’il soit juste vécu ? Néanmoins, si l’amour naît bien de cette progression en commun et s’il nous faut évaluer la réussite à la ressemblance des trajectoires des deux partenaires, on peut prédire avec certitude une sombre destinée au couple amoureux.
On peut démontrer que, même dans une société plus ou moins stagnante, les chances mathématiques de réalisation de cet idéal sont des plus restreintes. Toutefois, elles dégringolent radicalement quand le rythme de transformation de la société s’accélère, comme c’est actuellement le cas. Dans un monde fluctuant, où la position sociale et économique connaît sans cesse des hauts et des bas, où les ménages sont ballottés sans répit de maison en maison et de communauté en communauté, où les gens affirment plus ou moins ouvertement leur orientation sexuelle, où les individus s’éloignent de plus en plus de leurs parents, de leur religion d’origine et des valeurs traditionnelles, ce serait presque un miracle que deux personnes réussissent à évoluer à une vitesse plus ou moins comparable.
Si, en même temps, l’espérance de vie moyenne passe de 48 à 79 ans dans certains pays techniquement développés, soit une hausse de 65 %, et que, par conséquent, s’allonge autant le laps de temps pendant lequel est censée se perpétuer la prouesse acrobatique représentée par une évolution parallèle, les probabilités d’échec font un bond astronomique. Avec une retenue mi-figue mi-raisin, j’ose dire : vouloir que dans les conditions actuelles l’amour, le mariage ou une simple liaison ami-amant dure indéfiniment, c’est beaucoup demander.
Derrière les taux de divorce et de séparation extrêmement élevés qui caractérisent les sociétés technologiquement avancées, c’est cette mutation des chances statistiques de l’amour que l’on retrouve. Plus le rythme du changement est rapide et plus longue est la vie, moins ces chances sont nombreuses. L’ancienne volonté de la permanence doit forcément craquer. Attendre que l’amour dure beaucoup, qu’il dure indéfiniment, c’est demander encore bien davantage, quand l’éphémère et la nouveauté de notre époque sont ligués contre lui.
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