De gauche à droite : Ramon Sanders, Jacques Roumain, Nancy Cunard et Langston Hughes au moment du premier congrès international des écrivains pour la défense de la culture en 1935.
Dans un monde en proie aux turbulences et aux idéologies destructrices, le discours de Jacques Roumain au Congrès des écrivains pour la défense de la culture en 1935 émerge comme une lumière de résistance et de dignité humaine. Ce texte, prononcé à une époque où le fascisme menaçait d’engloutir l’Europe et au-delà, est un cri du cœur d’un homme profondément engagé dans la lutte pour la liberté et l’égalité. Roumain, avec sa plume ardente, nous rappelle l’importance de la culture et de la solidarité internationale face à la barbarie.
Le discours de Jacques Roumain au Congrès des écrivains pour la défense de la culture en 1935 est un témoignage poignant de son engagement politique et culturel contre le fascisme. Ce texte, riche en références historiques et en émotions, s’inscrit dans un contexte complexe où les questions de race, de liberté et de culture se croisent de manière inextricable.
Contexte historique, économique et géopolitique
Le premier congrès international des écrivains pour la défense de la culture, s’est tenu à Paris, du 21 au 25 juin 1935, et est resté comme un événement majeur de l’histoire littéraire du XXe siècle. Son importance a été considérable, tout d’abord par son ampleur, car il a réuni plus de 320 participants provenant de 38 pays différents, et des écrivains majeurs tels qu’Aragon, André Breton, Bertolt Brecht, André Gide, et André Malraux.
Dès la première décennie du 20e siècle, le monde est en proie à des bouleversements majeurs. Le fascisme gagne du terrain en Europe, avec Mussolini consolidant son pouvoir en Italie et Hitler prenant les rênes en Allemagne. En Espagne, la Guerre civile est sur le point d’éclater, opposant les forces républicaines aux nationalistes dirigés par Franco. Dans ce climat de tension, les intellectuels et les artistes se mobilisent pour défendre la culture et les valeurs démocratiques.
Le Congrès des écrivains pour la défense de la culture, où Roumain prononce son discours, est une réponse directe à cette montée du fascisme. Ensuite, son importance s’est également caractérisée par l’importance et la pertinence des questions débattues, en une période troublée, non seulement par la montée des fascismes, mais aussi celle des fronts populaires. Ces questions sont restées primordiales durant tout le XXe siècle, en particulier autour des questionnements sur la place de la littérature et de l’engagement intellectuel. Ainsi ce congrès, et son image d’événement légendaire ont pour longtemps marqué l’histoire littéraire, et il a souvent été cité dans les débats intellectuels depuis. Ce rassemblement international d’écrivains, d’artistes et de penseurs vise à unir les forces intellectuelles contre la menace fasciste qui cherche à étouffer la liberté d’expression et à imposer une culture de la barbarie.
Jacques Roumain, écrivain et militant politique haïtien, s’inscrit dans une tradition de lutte pour la liberté profondément ancrée dans l’histoire de son pays. Haïti, première nation noire indépendante, a une histoire marquée par la résistance contre l’oppression. En 1804, Haïti devient la première république noire libre après une révolution menée par des esclaves contre le pouvoir colonial français. Cette victoire inspire des mouvements de libération à travers les Amériques.
Cependant, au moment où Roumain prononce son discours, Haïti traverse des périodes difficiles. L’occupation américaine (1915-1934) vient de se terminer, laissant le pays économiquement affaibli et politiquement instable. Les inégalités sociales et raciales persistent, et la lutte pour une véritable indépendance et justice sociale continue. Le gouvernement haïtien de l’époque, bien que libéré de l’occupation, doit faire face à des défis économiques majeurs, notamment l’instabilité politique et les influences étrangères persistantes.
Jacques Roumain est non seulement un écrivain mais aussi un activiste politique, fondateur du Parti communiste haïtien. Son engagement politique l’a conduit à l’exil, mais aussi à une production littéraire riche et engagée. Son œuvre phare, “Gouverneurs de la rosée”, est une illustration de son idéal de justice sociale et de solidarité paysanne. Son expérience personnelle d’exil et de lutte politique donne une profondeur supplémentaire à son discours. Roumain a également travaillé comme ethnologue, explorant les traditions et les réalités culturelles haïtiennes, ce qui a enrichi sa compréhension des dynamiques sociales et de l’importance de la culture dans la résistance.
Analyse du discours
Roumain commence son discours en affirmant son appartenance à une “petite nation d’hommes noirs partisans de la liberté”, mettant en avant la contribution d’Haïti aux luttes de libération à travers les Amériques. Il rappelle les liens historiques entre Haïti et les mouvements de libération américains, comme l’aide aux révolutionnaires nord-américains à Savannah, le soutien à Simón Bolívar, et l’assistance à Maceo et Martí à Cuba.
Cette introduction sert à inscrire Haïti dans une tradition de solidarité internationale et de lutte pour la liberté. Roumain se positionne ainsi non seulement comme un défenseur de la culture haïtienne, mais aussi comme un militant pour la liberté et la justice à l’échelle mondiale.
En déclarant “Je ne puis faire autrement que d’être un communiste, un antifasciste”, Roumain lie son engagement politique à son identité Noir. Il dénonce le fascisme non seulement comme une menace politique, mais aussi comme une idéologie raciste qui condamne sa race “à toutes les indignités”. Cette prise de position est particulièrement puissante dans le contexte de l’époque, où le racisme scientifique et les théories de supériorité raciale sont largement répandues en Europe et en Amérique du Nord.
Roumain conclut en s’engageant en tant qu’écrivain pour la défense de la culture contre la barbarie fasciste. Il exprime sa solidarité avec le peuple espagnol en lutte contre le fascisme, soulignant que cette lutte est aussi la sienne, celle de l’humanité toute entière contre l’oppression et l’indignité.
Techniques rhétoriques et stylistiques
Roumain utilise des techniques rhétoriques puissantes pour renforcer son message. Il fait appel à l’émotion en évoquant des images de luttes historiques et de solidarité internationale. Son utilisation de la répétition (“parce que je suis Nègre”) souligne l’importance de l’identité raciale dans son engagement. Le style de Roumain, marqué par une langue riche et poétique, reflète ses influences littéraires et son éducation. Par exemple, son choix de mots puissants et évocateurs, tels que “barbarie” et “dignité”, crée un contraste saisissant qui renforce l’urgence et la gravité de son message.
Le discours de Roumain a eu un impact immédiat sur ses contemporains, renforçant la solidarité entre les intellectuels et les artistes contre le fascisme. Les témoignages de participants au Congrès montrent que son intervention a été accueillie avec enthousiasme et admiration. Des personnalités comme André Malraux et Pablo Neruda, présents au Congrès, ont souligné l’importance de l’intervention de Roumain dans leurs écrits. Sur le long terme, ce discours a inspiré les mouvements anticolonialistes et antifascistes en Haïti et ailleurs.
Les idées de Roumain peuvent être comparées à celles d’autres intellectuels noirs et anticolonialistes de l’époque, comme Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, et W.E.B. Du Bois. Tous partagent une vision de la culture comme outil de résistance et de libération. Cependant, Roumain se distingue par son ancrage dans l’histoire haïtienne et son engagement communiste. Par exemple, Aimé Césaire, dans son “Discours sur le colonialisme”, partage la même veine d’indignation contre l’oppression, mais avec une approche plus poétique et surréaliste. Senghor, de son côté, prône une négritude qui célèbre la culture africaine comme fondement de la résistance, contrastant avec l’approche plus militante de Roumain.
Perspectives contemporaines
Le discours de Roumain résonne encore aujourd’hui par sa puissance et sa pertinence. En France, par exemple, l’élection législative de 2024 a vu le Nouveau Front populaire (NFP) remporter une victoire contre le Rassemblement National (RN), démontrant une volonté de repousser les idéologies d’extrême-droite. Aux États-Unis, des accents de fascisme sont reprochés dans la rhétorique et le programme de Donald Trump, illustrant une menace toujours présente.
Ces événements actuels soulignent l’importance continue de la vigilance et de la résistance contre les idéologies oppressives. En observant les mouvements politiques actuels, on voit des parallèles avec les défis que Roumain décrivait : le recours à des discours de division, la glorification de la violence, et le rejet de l’altérité. Ces dynamiques montrent combien les mots de Roumain restent pertinents pour comprendre et combattre les menaces contemporaines.
Il est également pertinent de noter que les idéologies du fascisme et du nazisme, souvent classées comme extrême-droite, ont des racines dans l’extrême-gauche révolutionnaire. Cela souligne la complexité des dynamiques politiques et la nécessité d’une compréhension nuancée des forces en jeu. Les luttes de Roumain, bien que centrées sur son époque, offrent des leçons intemporelles sur la nature des combats contre l’oppression.
Les thèmes abordés – lutte contre le racisme, défense de la culture, solidarité internationale – restent d’actualité dans les combats contemporains pour la justice sociale. Les défis actuels pour les cultures menacées par des idéologies extrémistes rappellent l’importance de la mobilisation intellectuelle et artistique contre la barbarie.
Le discours de Jacques Roumain au Congrès des écrivains pour la défense de la culture est un appel vibrant à la résistance contre le fascisme, une célébration de la culture comme force de libération, et une affirmation de la solidarité internationale dans la lutte pour la dignité humaine. Par son engagement politique et littéraire, Roumain nous laisse un héritage puissant de courage et d’humanisme. En résonnant à travers les décennies, ses paroles nous rappellent que la lutte pour la justice et la liberté est une bataille perpétuelle, transcendante des frontières et des époques. Chaque génération doit trouver sa voix, comme Roumain l’a fait, pour défendre les valeurs universelles contre les forces oppressives.
Face aux défis contemporains, les paroles de Roumain résonnent avec une clarté renouvelée, nous incitant à perpétuer la lutte contre toutes formes d’oppression et à défendre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. En nous inspirant de son exemple, nous pouvons continuer à lutter contre les forces oppressives de notre époque et à préserver les fondements d’une société juste et équitable.
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