Il faut le dire avec tout le respect dû aux vibromasseurs tombés au combat : l’État haïtien vient de livrer la guerre la plus absurde de son histoire moderne.
Une guerre sans sang, sans stratégie, mais avec beaucoup de morale. Une guerre sainte menée non pas contre les armes de guerre, mais contre les armes du plaisir. Le gouvernement a donc décidé de sévir contre… les sextoys. Oui, ces objets coupables d’avoir procuré plus de bonheur en une décennie que tous les ministères réunis.
Pendant que des containers d’armes automatiques traversent les douanes comme des touristes en transit, le véritable danger, selon l’Administration Générale des Douanes (AGD), se cache dans un colis Amazon en forme de banane rose. L’État haïtien, toujours soucieux de protéger la moralité publique, a donc déclaré la guerre au silicone, au nom de Dieu, de la pudeur et, probablement, d’un complexe collectif mal soigné.
Dans un pays où l’électricité est une légende urbaine et l’eau potable un privilège diplomatique, on aurait pu croire que le gouvernement avait d’autres priorités. Mais non. Interdire les sextoys est désormais une question de sécurité nationale. C’est vrai : une population détendue est une population dangereuse. Le plaisir, c’est subversif. Le plaisir, c’est suspect.
Pendant que les balles sifflent à Cité Soleil, les douaniers se concentrent sur les colis discrets venant de Miami. Les gangs importent des fusils AR-15 par conteneurs, mais si une femme commande un petit vibromasseur, tout le pays s’indigne : « Où va la morale ? »
Haïti ne produit plus de riz, plus d’électricité, plus d’État, mais produit de la honte, encore et toujours. Le porte-parole de la Police Nationale d’Haïti, visiblement fier de son coup, a tenu une conférence de presse pour annoncer la saisie de plusieurs sextoys à la douane. Oui, une conférence de presse. Comme si on venait de capturer El Chapo ou déjouer un coup d’État. On aurait presque attendu qu’il montre les objets confisqués sur un écran géant, en expliquant, pointer laser à la main :
« Voici le modèle le plus dangereux, mesdames et messieurs. Il a une autonomie de deux heures et une vitesse variable. Un engin redoutable. »
Et pendant qu’il parlait, les cargaisons d’armes passaient au port de Port-de-Paix, sans un seul communiqué. Le contraste est si grotesque qu’il en devient poétique : le pays où l’on confond les balles et les boules.
Le pouvoir en place ne sait plus faire la différence entre gouverner et moraliser. Il croit qu’interdire les sextoys, c’est gouverner avec vertu. Mais c’est gouverner avec panique. C’est transformer la politique publique en prêche de confessionnal. Pendant ce temps, les vraies urgences, sécurité, santé, éducation, continuent de gémir dans le noir.
Soyons honnêtes : si le gouvernement avait interdit les rasoirs électriques ou les ventilateurs portatifs, personne n’aurait bronché. Mais interdire les sextoys, c’est une déclaration de guerre symbolique, contre le corps féminin, contre l’autonomie, contre la joie sans permission masculine.
Car enfin, à qui s’adressent ces jouets ? Principalement aux femmes. Et dans une société encore dominée par la peur du désir féminin, il fallait bien trouver un bouc émissaire. Le vibromasseur devient alors le nouvel épouvantail national : un petit objet d’émancipation qu’on diabolise, parce qu’il fonctionne sans autorisation patriarcale.
En interdisant les sextoys, l’État haïtien ne protège pas la morale, il protège l’hypocrisie. Celle qui fait croire que la vertu se mesure à la frustration, et que la sainteté commence là où s’arrête l’orgasme.
Pendant qu’un conteneur de sextoys est bloqué, dix autres de munitions entrent tranquillement. Les rapports d’Amnesty International et de la MINUJUSTH sont clairs : les ports haïtiens sont des passoires. Les armes circulent librement, les cartels dictent la loi, et les gangs recrutent à ciel ouvert. Mais la douane, apparemment, ne manque pas d’énergie pour inspecter les colis d’Amazon contenant « objets intimes non conformes à la moralité publique ».
On dirait un sketch :
— Inspecteur, on a trouvé un fusil d’assaut.
— Laissez passer.
— Et ici, un vibromasseur.
— Mon Dieu, cachez ça, c’est indécent !
Le tragique, c’est que ce n’est même plus drôle. C’est la logique inversée d’un État malade : incapable de filtrer la violence, il s’en prend au plaisir. Incapable d’éduquer, il moralise. Incapable de protéger, il contrôle ce qu’il ne comprend pas.
Dans un pays où les gangs contrôlent les ports, les marchés, et parfois les commissariats, il est fascinant de voir que la douane retrouve soudainement sa vigueur dès qu’il s’agit de plastique rose. On aurait aimé qu’elle montre la même rigueur pour les armes. Mais non : entre un fusil et un vibromasseur, il faut choisir ses batailles.
Le vibromasseur, lui, ne corrompt pas les juges, ne kidnappe personne, ne rançonne pas les quartiers. Il n’a pas de réseau, pas de cartel, pas de ministre. Il ne tire sur personne, sauf, parfois, sur l’ennui. Mais dans la République de l’inversion, tout ce qui donne du plaisir est suspect, et tout ce qui tue est toléré.
Cette histoire aurait pu faire rire si elle n’était pas si tragiquement révélatrice. Car derrière la farce, il y a un système. Un système où l’État se donne bonne conscience à peu de frais : interdire des objets inoffensifs pour masquer son impuissance sur les vrais problèmes. Interdire un sextoy ne coûte rien. Combattre un gang, si. S’attaquer à la morale sexuelle est symbolique. S’attaquer à la contrebande d’armes, c’est dangereux. Résultat : le gouvernement choisit toujours la guerre la plus sûre, celle contre les jouets.
C’est le syndrome du tigre en papier : rugir fort sur les choses inutiles, se taire sur les choses graves. Le plus ironique dans tout cela, c’est que le plaisir, ce petit moment de répit dans une société en crise, est perçu comme un acte de rébellion. Dans un pays où tout est souffrance, la joie devient suspecte. S’il y a bien une forme de résistance pacifique, c’est celle des femmes qui continuent de revendiquer leur droit au plaisir malgré la pauvreté, la peur et les sermons des politiciens.
Dans un certain sens, le vibromasseur est plus révolutionnaire qu’une arme : il ne détruit rien, mais libère quelqu’un. Et c’est peut-être pour ça qu’il fait si peur. Parce qu’il ne tue pas : il réveille.
Haïti est devenue cette étrange contrée où le crime se vend à ciel ouvert et où le plaisir s’importe clandestinement. Un pays où les trafiquants d’armes dorment tranquilles, mais où les colis de femmes célibataires sont fouillés à la loupe. Dans cette inversion complète des priorités, on finit par se demander si les douaniers ne sont pas, eux aussi, frustrés. Peut-être qu’ils se vengent d’un pays qui les empêche de jouir autrement que par la répression.
Mais une chose est sûre : tant que les dirigeants croiront qu’on rétablit l’ordre en interdisant le plaisir, le pays restera coincé entre deux extrêmes, la pulsion de mort et la peur du vivant. Et à ce rythme, il ne manquera bientôt plus qu’un décret pour interdire le rire. Parce qu’en Haïti, tout ce qui fait du bien devient vite une affaire d’État.
Dans un pays où l’on confond moralité et sécurité, où les fusils passent mais pas les fous rires, le vibromasseur devient le symbole involontaire de la liberté. Et si le gouvernement haïtien redoute tant ces petits objets, c’est peut-être parce qu’ils rappellent une vérité insupportable : le peuple n’a plus besoin d’eux pour vibrer.
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