L’été dernier, sous le soleil ardent de juillet qui étouffait Montréal de sa chaleur oppressante, j’ai fait la rencontre d’un vieil homme, un ancien militaire des forces armées canadiennes. Notre échange, qui avait débuté par une conversation anodine dans un dépanneur près de la rue Sherbrooke Est, nous a menés au Van Houtte, un café voisin, où nous avons prolongé notre discussion.
J’ai toujours eu une affection particulière pour les conversations avec ceux qui ont traversé les âges et qui comprennent que la jeunesse n’est ni une faute, ni un péché, mais plutôt une promesse. « Il fut un temps, me confia-t-il, où l’idéal était la continuité. Qu’il s’agisse de confectionner une paire de chaussures ou de bâtir une église, un homme consacrait toute son énergie à rendre son œuvre aussi durable que possible. Il travaillait avec la conscience aigüe des générations futures, se souciant de leur bien-être et de leur héritage. »
Autrefois, dans une société où le changement se faisait rare, chaque objet avait une fonction bien définie, et l’économie favorisait la durabilité. Les biens, bien que plus coûteux, étaient conçus pour durer cinq à dix ans, et restaient plus rentables, même avec quelques réparations occasionnelles, que les produits bon marché et éphémères d’aujourd’hui. Cependant, avec l’accélération du rythme de vie et les transformations sociales, cette logique de la permanence a progressivement cédé la place à une économie de l’éphémère, où la nouveauté prime sur la durabilité.
Premièrement, les avancées technologiques ont considérablement réduit les coûts de production, rendant la fabrication d’objets non seulement plus rapide mais aussi moins onéreuse que leur réparation, souvent artisanale. Remplacer un objet est devenu économiquement rationnel, même si sa durée de vie est moindre comparée à celle des objets réparables. Cette logique, bien que pragmatique, nous entraîne dans une spirale de consommation rapide et superficielle, où le jetable devient la norme.
Deuxièmement, la technologie permet une amélioration continue des produits. Mon ordinateur actuel, bien que coûteux, surpasse de loin le précédent. La science et la technologie évoluent à une telle vitesse qu’il semble plus judicieux de fabriquer des objets pour une durée limitée, plutôt que de viser leur longévité. À Montréal, il n’est pas rare de voir des immeubles être démolis après seulement quelques années d’existence, car il est souvent moins coûteux de reconstruire que de moderniser ce qui existe déjà.
Troisièmement, l’accélération de notre civilisation rend la prévision des besoins futurs de plus en plus incertaine. Nous devenons des architectes de l’éphémère, conscients du changement incessant, mais incapables de prévoir les exigences de demain. Cette incertitude nous pousse à privilégier des solutions à court terme, au détriment d’investissements durables qui pourraient mieux résister à l’épreuve du temps.
Enfin, cette civilisation de l’éphémère engendre une chaîne de réactions, avec des objets conçus pour des usages temporaires, mais souvent multiples. Ces articles, bien que parfois coûteux, sont fabriqués pour être démontés, réassemblés, déplacés, dans une logique où la flexibilité prime sur la permanence.
Alors que nous sirotions nos cafés au Van Houtte, le vieil homme poursuivit : « Il fut un temps où tout était relativement permanent, où un homme pouvait espérer que ses enfants et petits-enfants jouissent des mêmes choses que lui. Aujourd’hui, tout a changé. Les bureaux d’études nous abreuvent de constructions provisoires et réutilisables, d’un modernisme éphémère. »
Ainsi, notre époque semble se redéfinir sans cesse, dans une quête perpétuelle de nouveauté et d’adaptation. Le temps, dans son essence même, n’est plus qu’une succession d’instants démontables, toujours en mouvement, toujours à la recherche d’une forme de modernité qui échappe pourtant, à chaque instant, à notre désir de la fixer.
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