L’oligarque corrompu

C’est un fait connu dans les hautes sphères de la moralité haïtienne : on naît avec un berceau en or ou on meurt dans une brouette. Entre les deux, il suffit de bien graisser les essieux.

Dans la République de Papier-Mâché — pays mythologique des Caraïbes, entre une république bananière et un feuilleton Netflix mal doublé — certains hommes naissent avec un passeport diplomatique tatoué sur la peau. D’autres naissent avec un œil au beurre noir déjà imprimé sur la joue. Les premiers dirigent. Les seconds endurent.

Un de ces patriotes auto-proclamés, grand fan de devises fortes et de coupes de champagne tièdes, aimait se présenter en public vêtu d’un chandail plus rouge que la honte, avec des airs de docteur en compassion. Il avait tout pour plaire : une calvitie bien entretenue, une voix qui commandait le silence, et un curriculum vitae où les lettres M.A.F.I.A semblaient figurer entre les lignes, calligraphiées à l’encre invisible.

Pendant des années, il parla de refondation, de société civile, de troisième voie. Il jurait qu’il n’était ni du pain rassis ni de la soupe froide. Il se voulait croissant du matin. On lui donna des micros, il en fit des trompettes. On lui ouvrit les portes, il en sortit des valises. Il prétendait vouloir sauver le pays. À défaut, il sauva sa peau… un certain temps.

Car dans cette contrée sans couronne mais pleine de rois autoproclamés, la Justice n’a ni robe ni marteau. Elle a des sandales en plastique et une mémoire courte. Et pourtant, comme dirait l’oncle de province, même le cochon le plus gras finit par croiser le couteau.

Et voilà que, loin des bidonvilles d’où il n’a jamais reçu de courrier, c’est dans un coin climatisé d’une prison en terre étrangère que notre héros en cravate a posé ses valises Louis Vuitton, saisies pour usage diplomatique frauduleux. Là-bas, on ne s’étonne plus de voir défiler les messies en exil. C’est devenu la mode : après avoir sauvé le peuple avec des promesses de ciment, ils finissent tous dans des cellules dont les murs, cette fois, ne sont pas financés par l’État.

Un jour de juillet, dans une ironie que seul le destin sait écrire, le vent tourna. Le calendrier sonna la date exacte, quatre ans jour pour jour après la nuit où les cris furent étouffés dans une maison présidentielle. Le héros aux poches profondes, si bavard autrefois dans les studios de télé, avait cette fois beaucoup à dire — mais aux autorités américaines.

Des noms furent lâchés. Des affaires furent exposées. Des valises furent ouvertes, cette fois sans douanier complice. On parle même d’un carnet noir, rempli d’anecdotes juteuses sur les réunions de salon entre pseudo-philanthropes, faux médecins et vrais pyromanes de la nation. L’un après l’autre, les anciens saints tombèrent du piédestal comme des chandeliers trop lourds.

Et pendant que les oligarques se livraient en série limitée au FBI, le peuple, lui, toujours à jeun, poursuivait sa longue traversée du désert — sans urnes, sans illusions, sans passeport valide. Là où d’autres votent pour l’avenir, en Haïti on saute les frontières à défaut de cocher une case. On s’en va, tout simplement. Comme ce jeune homme croisé dans un taxi sans freins au carrefour de l’aéroport, qui, le regard vissé vers le ciel sans ciel, lâcha cette phrase devenue nationale : “Pral gen kouri.”

Mais attention, chers lecteurs, ne voyez pas en cette chronique une attaque contre les riches. Non. Il y a des riches honorables. Mais il y a aussi ceux qui bâtissent leur fortune sur les gravats d’une école effondrée. Ceux qui versent du riz avarié dans les assiettes publiques et s’étonnent de voir des enfants mourir la bouche pleine.

Il est de ces hommes qu’on ne nomme jamais dans les manuels d’histoire. Trop compromis. Trop exposés. Trop connus. Des hommes qui faisaient la pluie, les inondations et parfois même les tremblements. Des bâtisseurs de chaos aux mains blanches et aux gilets pare-balles bien ajustés. Ils prétendaient aimer leur pays. À force de l’aimer, ils l’ont mis en pièces détachées.

Heureusement, la vie a parfois des retournements de veston. Les voyages sans retour, les escales judiciaires, les menottes stylisées. Ce qu’on appelait jadis “exil doré” ressemble désormais à un séjour prolongé dans une chambre sans fenêtre avec un colocataire amateur de tatouages.

Moralité ? Il n’y en a pas. À part peut-être celle d’un vieux conte rural que me répétait mon grand-père :

« Quand le cochon mange trop de mangues, il oublie le groin qu’il utilise pour creuser. »

Voilà. Un mot pour Haïti.
Un mot en forme de miroir.
Un mot pour dire que même les statues finissent par s’effriter.
Un mot pour dire que ceux qui vendent le pays à la découpe, un jour, peuvent finir découpés dans la rubrique judiciaire.

Et si l’un d’eux lit ces lignes entre deux interrogatoires, qu’il sache :
Le peuple n’a pas oublié.
Il rit.
Il note.
Et parfois, il se venge.

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